La taxation des transactions financières : une opportunité à réinventer
Les débats autour de la taxation des transactions financières passent peut-être à côté de l’essentiel. Alors qu’on a tendance à se focaliser sur son taux, c’est en changeant les modalités de collecte qu’on pourrait améliorer son rendement.

Les débats autour de la taxation des transactions financières passent peut-être à côté de l’essentiel. Alors qu’on a tendance à se focaliser sur son taux, c’est en changeant les modalités de collecte qu’on pourrait améliorer son rendement.
Dans un contexte budgétaire tendu, la recherche de nouvelles recettes fiscales s’impose comme un enjeu crucial. Comment empêcher le déficit public de dépasser 5 % du PIB sans sombrer dans le « matraquage fiscal » ni la « cure d’austérité » ? La taxation des transactions financières (TTF) est souvent évoquée comme une solution potentielle – ce qui suscite toujours de vifs débats.
La TTF a une longue histoire (pratiquement aussi ancienne que celle des marchés boursiers) et, pour cette raison, elle est souvent considérée comme surannée. Il s’agit pourtant d’un dispositif qui a fait la preuve de son efficacité et elle existe actuellement dans une trentaine de pays : au Royaume-Uni (depuis plus de 300 ans), en France, en Suisse, à Hongkong, en Chine, etc.
Malgré cela, son potentiel reste sous-exploité. Aujourd’hui, repenser son cadre et améliorer son efficacité est un défi d’autant plus pertinent que les attentes citoyennes en matière de justice fiscale se font pressantes.
En France, la TTF a été introduite en 2012, en remplacement de l’impôt sur les opérations de bourse qui existait depuis le XIXe siècle. Cette taxe s’applique aux transactions sur actions des grandes entreprises cotées. Bien que ces transactions s’élèvent à plusieurs milliers de milliards d’euros chaque année, le rendement de la TTF est largement limité par une assiette très réduite. En pratique, seules 15 % des transactions boursières totales sont soumises à cette taxe, tandis que les 85 % restants – comprenant les transactions intrajournalières et, notamment, les opérations à très haute fréquence – en sont exonérés.
Quelques fractions de seconde qui rapportent
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : sur les 4 000 milliards d’euros de transactions annuelles estimées sur les actions, seuls 600 milliards sont taxés. Ainsi, les recettes annuelles générées, bien qu’appréciables (environ 2 milliards par an), pourraient être largement accrues par une meilleure captation des activités actuellement ignorées. D’autant que nombre de ces opérations, réalisées en quelques fractions de seconde, illustrent parfaitement les excès des marchés financiers que cette taxe vise à réguler.
Un des principaux freins à l’efficacité de la TTF réside dans son mécanisme de collecte. Plutôt que d’être gérée directement par le Trésor public, la taxe est recouvrée par Euroclear, une entité privée. La Cour des comptes, dans un rapport de 2017, soulignait déjà des lacunes importantes : insuffisance des contrôles, absence de données complètes sur les transactions éligibles et difficultés juridiques récurrentes. Cette opacité complique à la fois l’évaluation du rendement de la taxe et la mise en place d’améliorations efficaces.
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Une opacité administrative
Il importe de souligner que ni Euroclear, ni la Direction générale des finances publiques, ni l’Autorité des marchés financiers ne communiquent d’information au sujet de la TTF. Ainsi, en décembre 2024 était organisée à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne une journée d’étude consacrée à la TTF, réunissant des académiques, des praticiens, des parlementaires et des membres de la société civile. Euroclear, la Direction générale des finances publiques et l’Autorité des marchés financiers ont refusé l’invitation qui leur a été faite de participer aux tables rondes…
Le manque de transparence éloigne cette taxe de l’idéal d’équité fiscale auquel elle devrait répondre. En effet, la collecte des impôts doit être claire et compréhensible pour l’ensemble des citoyens. Cette exigence est d’autant plus importante qu’elle permet de restaurer la confiance entre l’État et ses contribuables.
Large soutien politique
Chose rare, la TTF jouit (officiellement du moins) d’un large soutien de la plupart des partis politiques au Parlement : du Nouveau Front populaire, jusque dans les rangs du Rassemblement national, en passant par la majorité présidentielle. Les propositions d’amendements votées à l’automne 2024 pour renforcer la TTF étaient ambitieuses.
Mais finalement, en 2025, ne subsiste que l’augmentation du taux, qui doit passer en avril prochain de 0,3 % à 0,4 %. Pourtant, quelques mois plus tôt, les parlementaires proposaient un élargissement de l’assiette, notamment pour inclure les transactions intrajournalières. Cet élargissement aurait permis non seulement d’accroître les recettes, mais aussi de mieux réguler les activités financières.
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Une réforme du mécanisme de collecte s’impose par ailleurs. Reprendre en main cette mission, en la confiant à l’administration fiscale, garantirait un meilleur contrôle et une plus grande transparence. Une telle mesure renforcerait également la légitimité de la taxe aux yeux des citoyens et des acteurs économiques. Renforcer la taxation des transactions financières ne relève pas seulement d’une logique comptable. Il s’agit avant tout d’une question d’équité et de justice fiscale.
Comment justifier qu’un investisseur de long terme soit taxé alors qu’un trader à haute fréquence, réalisant des opérations à grande échelle, en est exonéré ? Cette incohérence nourrit un sentiment d’injustice et affaiblit l’adhésion à l’effort collectif.
Passer à l’échelle européenne
Au-delà de la France, la question de la taxation des transactions financières relève d’une dimension européenne et mondiale. Plusieurs États membres de l’Union européenne ont mis en place des dispositifs similaires à celui de la France (l’Italie en 2013, l’Espagne en 2021), mais une harmonisation à l’échelle de l’UE serait la bienvenue.
Plus largement, la TTF s’inscrit dans une logique de fiscalité internationale où la responsabilité des acteurs financiers est un enjeu central. Le financement de la « dette écologique », par exemple, pourrait être significativement soutenu par les recettes d’une TTF renforcée. Cela offrirait une réponse concrète aux défis liés au changement climatique tout en évitant de peser davantage sur les contribuables individuels.
Il est temps de corriger ces déséquilibres et ces injustices. L’amélioration de la TTF pourrait devenir un symbole fort d’une fiscalité moderne, plus juste et plus adaptée aux réalités économiques actuelles. En réconciliant les besoins budgétaires avec les exigences de justice sociale, elle pourrait contribuer à redonner un sens au contrat fiscal entre l’État et ses citoyens.

Cette contribution est publiée en partenariat avec le Printemps de l’Économie, cycle de conférences-débats qui se tiendront du 18 au 21 mars 2025 au Conseil économique social et environnemental (Cese) à Paris. Retrouvez ici le programme complet de l’édition 2025, intitulée « Action publique ! Nouvelle ère, nouveaux défis ».
Gunther Capelle-Blancard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.