La France, le royaume des envieux?

Les Français jalousent la réussite des uns, convoitent la fortune des autres et dénoncent les petits privilèges qui leur échappent. Ces envieux n'attribuent pas le succès au mérite mais à la chance, voire à l'injustice du système sociale. Ce qui légitime la haine des riches... L’article La France, le royaume des envieux? est apparu en premier sur Causeur.

Mar 21, 2025 - 11:54
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La France, le royaume des envieux?

Les Français jalousent la réussite des uns, convoitent la fortune des autres et dénoncent les petits privilèges qui leur échappent. Ces envieux n’attribuent pas le succès au mérite mais à la chance, voire à l’injustice du système sociale. Ce qui légitime la haine des riches.


Pourquoi cette animosité envers les riches?

Les Français ont-ils une mauvaise opinion des riches ? Une succession régulière de sondages et d’interventions d’experts dans les médias vont dans ce sens. Et dans l’opinion publique française cette hostilité envers les plus aisés s’accompagne d’une réticence à l’égard de l’économie de marché. Une comparaison est souvent faite avec les « Anglo-Saxons » qui, en adorateurs de Mammon, prôneraient un libéralisme « sauvage » et feraient passer les profits avant les principes moraux. Pour expliquer la pudeur des Français à l’égard de la richesse, on cite l’influence catholique dont la France – aujourd’hui pays laïque – serait encore imprégnée. L’explication est étayée par quelque citation de saint Thomas d’Aquin contre la pratique de l’usure ou une référence à L’Éthique protestante et l’Esprit du capitalisme de Max Weber. Mais cette œuvre a fait l’objet des critiques, entre autres, de Fernand Braudel. Car le capitalisme a commencé en Italie, pays catholique, et dès avant la Réforme. Et si la Grande-Bretagne et les Pays-Bas, protestants, ont lancé une nouvelle phase de capitalisme commercial, la France catholique n’a pas tardé à les imiter. Mais avant d’aborder d’éventuelles explications, il faut poser deux questions. D’abord, la France est-elle plus « antiriche » en moyenne que d’autres pays ? Après tout, un certain ressentiment contre plus fortuné que soi existe partout. Ensuite, l’animosité des Français par rapport aux riches est-elle inspirée par la haute moralité ou par une basse émotion, à savoir l’envie ? Car selon la définition de d’Alembert : « On est jaloux de ce qu’on possède et envieux de ce que possèdent les autres. »

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Or, les travaux du chercheur indépendant allemand Rainer Zitelmann confirment que, plus que d’autres peuples, les Français conspuent le capitalisme et envient les riches. Zitelmann fonde ses analyses sur 48 sondages internationaux qu’il a commandés entre 2018 et 2023. Une première étude portant sur les attitudes envers le capitalisme dans 34 pays, place la France en sixième position du palmarès de l’esprit anticapitaliste. Le pays le plus procapitaliste est la Pologne, malgré le rôle important qu’y joue le catholicisme. Une autre étude, de 2024, se focalise sur les perceptions populaires des riches dans 13 pays : France, Allemagne, Italie, Espagne, Suède, Pologne, Grande-Bretagne, Chine, Japon, Corée du Sud, Vietnam, Chili et les États-Unis. À partir de questionnaires détaillés et d’une définition précise de « riche », Zitelmann crée pour chaque pays un « coefficient de traits de personnalité des riches ». En termes de vices et de vertus, les fortunés sont perçus le plus positivement en Pologne et au Vietnam, le moins en Espagne. La France et le Royaume-Uni ont le même score et sont légèrement favorables aux riches. Mais c’est quand Zitelmann crée un « coefficient d’envie sociale » que la France se détache du lot. Elle arrive largement en tête des pays où l’on envie la réussite des autres, devant l’Allemagne et la Chine. Les pays les moins envieux sont la Pologne – encore ! – et le Japon. Quand Zitelmann combine les deux coefficients pour créer un indice général, ce sont encore les Français qui portent les riches le moins dans leur cœur.

À qui la faute ?

Comment expliquer que les Français soient les champions de l’envie ? On pourrait accuser les inégalités, mais ces dernières ne sont pas très marquées en France, dont le coefficient de Gini, qui les mesure, est légèrement en dessous de la moyenne de l’UE. C’est que l’envie n’est pas nécessairement corrélée aux disparités économiques. Un homme peut bien envier un voisin qui ne jouit que de quelques privilèges modestes. L’important, c’est que ces privilèges semblent immérités. Car l’envie est une affaire de comparaison et de mérite. Dans son Discours célèbre sur l’inégalité, Rousseau explique la naissance de l’envie – et de la honte – par la vie en société qui fait ressortir les différences de talents entre les individus. La honte empêche les envieux, dont le ressentiment couve secrètement dans leur cœur, de révéler publiquement ce qu’ils ressentent, car ce serait admettre leur infériorité. L’envieux justifie l’hostilité qu’il ressent à l’égard de ceux qui ont réussi en attribuant leur succès à la chance, à l’injustice du système social ou à la tricherie. Comme le dit un personnage de Corneille, « jamais un envieux ne pardonne au mérite ». Or, le libéralisme implique la concurrence, et la concurrence implique des gagnants et des perdants, donc des comparaisons. Si les vraies raisons de la réussite des entrepreneurs et des cadres d’entreprise échappent à beaucoup de Français, c’est parce que le secteur public est si vaste en France, qu’il fausse totalement la donne. Il représente 21 % des travailleurs actifs, contre 11 % en Allemagne ou 15 % aux États-Unis. Les fonctionnaires ne connaissent donc pas bien le secteur privé, se méfient de son succès et veulent en être protégés.

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C’est ici que les rôles de la Révolution et du marxisme dans l’histoire de France sont pertinents. La première montre comment une nouvelle classe dirigeante peut exploiter la haine des riches pour asseoir son pouvoir politique, exemple suivi par tous les autres révolutionnaires. En 1917, Lénine décrivait les riches comme faisant partie de « la vermine » dont il fallait « purger » la Russie. L’envie constitue un levier puissant, car en la réveillant on peut désigner des boucs émissaires. La gauche française n’hésite pas à y avoir recours, de François Hollande qui déclare « je n’aime pas les riches » à Marine Tondelier qui exige « une France sans milliardaires », qualifiés de « vampires ». L’envie est plus souvent une force de destruction qu’une source de motivation positive. Dans son étude de 1966 sur L’Envie, le sociologue Helmut Schoeck fait remarquer que, devant les biens acquis par l’Autre, l’envieux « est presque plus désireux de les détruire que de les acquérir ». La redistribution des richesses que la gauche veut amplifier est autant une façon de punir les riches que de compenser les pauvres. L’envieux préfère même saboter le système économique que relever le défi de la concurrence loyale avec l’autre. Si nous voulons être moins pauvres, arrêtons d’en vouloir à ceux qui ont mieux réussi que nous.

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