Impôt sur la fortune : si souvent enterré, et pourtant toujours en vie

La relation entre impôt sur la fortune et exil fiscal est plus complexe qu’il n’y paraît. Les Français fortunés sont plus nombreux à rester qu’à s’exiler.

Fév 17, 2025 - 20:12
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Impôt sur la fortune : si souvent enterré, et pourtant toujours en vie
En 2022, le nombre d’assujettis à l’impôt sur la fortune immobilière a diminué d’environ 60 % et ses recettes ont chuté de 1,37 milliard d’euros. AlexiRosenfeld/Shutterstock

La relation entre impôt sur la fortune et exil fiscal est plus complexe qu’il n’y paraît. Si certains Français choisissent de s’expatrier pour minimiser leur charge fiscale, la majorité reste. Les raisons ? Certaines patriotiques. D’autres pragmatiques : une vie sociale bousculée, l’obligation de vendre des biens immobiliers ou de transférer des entreprises.


Les gouvernements s’enchaînent en France à la recherche de stabilité et… d’économies. Il faut renflouer les caisses de l’État à tout prix. Un nouvel impôt sur la fortune dite « improductive » (en replacement de l’impôt sur la fortune immobilière ou IFI, créé en 2018, ndlr), ciblant les yachts, les cryptomonnaies et les liquidités, a finalement été supprimé du projet de loi finance 2025.

Pourtant, le 12 février dernier, la commission des finances a adopté la proposition de « loi instaurant un impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des ultras riche », portée par la députée écologiste Eva Sas. Le texte sera examiné à l’Assemblée nationale, le 20 février prochain. Inspiré des travaux de l’économiste Gabriel Zucman, cet impôt plancher concernerait 1 800 contribuables dont le patrimoine est supérieur à 100 millions d’euros.


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Les impôts sur la fortune taxent le patrimoine plutôt que les revenus. Cette dimension pose problème aux détenteurs de grandes fortunes immobilisées dans des actifs non liquides – immobilier, œuvres d’art, entreprises familiales.

Contrairement à un impôt sur le revenu, où la taxation concerne uniquement les gains annuels, l’impôt sur la fortune (ISF) exige un prélèvement régulier sur un patrimoine qui ne génère pas toujours de liquidités immédiates. Cela peut entraîner une nécessité de vendre des actifs pour payer l’impôt, ce que certains considèrent comme un frein à l’investissement et à la croissance économique. Et inciter à s’exiler fiscalement ?

Chute de 1,37 milliard d’euros de recette

L’impôt sur la fortune est un sujet récurrent et clivant, opposant partisans de la justice fiscale et défenseurs de l’attractivité économique. Instauré en 1982 par le gouvernement de Pierre Mauroy sous la terminologie d’impôt sur les grandes fortunes (IGF), il est remplacé en 2018 par un impôt sur la fortune immobilière (IFI).

L’objectif de cette dernière réforme était d’orienter l’épargne vers les entreprises. Le nombre d’assujettis à ce nouvel impôt a diminué d’environ 60 % et les recettes ont chuté à 1,37 milliard d’euros en 2022. En 2024, il rapportait 5,3 milliards d’euros à l’État.

Évolution du nombre de contribuables ISF/IFI plafonnés entre 2006 et 2022. France Stratégie

Certains entrepreneurs et investisseurs estiment que cet impôt limite leur capacité à investir dans des projets nationaux. En conséquence, certains préfèrent délocaliser leur résidence fiscale pour bénéficier de régimes plus attractifs. La Suisse, le Portugal, Dubaï, les États-Unis, le Royaume-Uni ou Monaco offrent des régimes fiscaux plus favorables aux grandes fortunes, notamment au moyen des exonérations partielles ou des dispositifs d’optimisation qui permettent de limiter la pression fiscale sur le patrimoine.

Moins d’exilés fiscaux, plus de retours au pays

1,8 million de Français sont expatriés, dont 40 % dans cinq pays principalement : la Suisse, les États-Unis, le Royaume-Uni, la Belgique et le Canada. Cependant, rien n’indique que ces Français résident en dehors de l’Hexagone pour des raisons fiscales.

Depuis le passage de l’ISF à l’IFI, le comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital de France Stratégies indique que le nombre de retours de foyers taxables à l’IFI dépasse le nombre de départs. Si entre 2011 et 2016, le nombre de départs de contribuables à l’ISF s’est élevé à 950, contre 370 retours en moyenne, de 2018 à 2021, il y a eu 260 départs en moyenne pour 380 retours.

Des données en contradiction avec les propos de Bernard Arnault. Ces dernières années, l’impôt sur la fortune ne fait pas fuir les plus fortunés.

L’exil plus compliqué qu’il n’y paraît

Cependant, si l’ISF peut être un facteur de départ, l’exil fiscal ne se résume pas à une simple équation financière. Changer de résidence fiscale ne se fait pas du jour au lendemain. Les grandes fortunes doivent prouver qu’elles ne sont plus domiciliées fiscalement dans leur pays d’origine en modifiant leur centre d’intérêts économiques et familiaux. Cela implique souvent de vendre des biens immobiliers, de transférer des entreprises ou de modifier ses habitudes de consommation.

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Un départ à l’étranger peut également engendrer une rupture avec l’environnement professionnel et familial. Les entrepreneurs, en particulier, peuvent hésiter à quitter un pays où se trouvent leurs entreprises, leurs partenaires et leurs opportunités de croissance. De même, la vie sociale et culturelle peut influencer le choix de rester malgré une taxation élevée.

L’exil fiscal est également mal perçu par l’opinion publique. Certains milliardaires et grandes fortunes, notamment ceux ayant bénéficié d’aides publiques ou occupant une position influente, peuvent craindre une dégradation de leur image s’ils quittent leur pays pour des raisons purement fiscales. Certains, comme Warren Buffett ou Bill Gates, ont même plaidé en faveur d’une taxation plus élevée des grandes fortunes afin de renforcer la cohésion sociale.

Une tendance mondiale à sa suppression

Au cours des dernières années, à l’exception des États-Unis au début du mandat de Joe Biden, la France fait figure d’exception avec son IFI et sa volonté d’instaurer un nouvel ISF. Depuis une trentaine d’années, la tendance européenne est à la suppression de l’impôt sur la fortune : l’Autriche en 1994, le Danemark en 1995, l’Allemagne et l’Irlande en 1997, les Pays-Bas en 2001, la Finlande en 2006, la Suède en 2007 et la France en 2018.

Mais ces impôts ne sont pas supprimés, car ils alimentent des programmes sociaux qui améliorent l’égalité des opportunités et atténuent les écarts de richesse entre héritiers et non-héritiers. Dans les pays scandinaves, l’impôt permet de financer des politiques publiques favorisant l’égalité des chances, comme l’éducation, la santé et l’accès au logement.

En redistribuant une partie des grandes fortunes sous forme de services publics et d’investissements sociaux, il contribue à réduire les inégalités de départ entre les individus.

Un impôt si souvent enterré, et pourtant toujours en vie.The Conversation

Éric Le Fur ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.