Humains, animaux, cellules, plantes : tous conscients ?
De nos plus proches cousins, les primates, jusqu’aux mollusques, où placer la limite de la (non-) conscience ?

Nous sommes des êtres doués de conscience mais qu’en est-il des autres animaux ? De nos plus proches cousins, les primates, jusqu’aux mollusques, où placer la limite de la (non-) conscience ? Certaines théories vont jusqu’à reconnaître cette capacité à toute forme de vie. Faisons le tour de la question.
L’année 2024 a été riche en évènements autour de la question de la conscience. La « déclaration de New York sur la conscience animale », signée en avril par plus de 300 chercheurs, a proposé qu’une possibilité de conscience existe chez la plupart des animaux.
En juin, toujours à New York, a eu lieu la première présentation des résultats de la collaboration adversariale Cogitate, qui organise une collaboration entre des équipes qui s’opposent autour de deux théories de la conscience. Le but étant qu’ils définissent entre eux les expériences à mener pour prouver l’une ou l’autre des conceptions qu’ils défendent.
Cette confrontation regroupe des experts de neurosciences et des philosophes cherchant un consensus entre : la théorie de l’espace de travail global (GNWT), portée par Stanislas Dehaene, et la théorie de l’information intégrée (IIT), proposée par Giulio Tononi. La GNWT propose que l’interaction entre plusieurs régions et processus spécifiques du cerveau soit nécessaire à la conscience, celle-ci n’émergeant suite à un premier traitement automatique que si l’information est amplifiée par différents réseaux de neurones spécialisés. L’IIT propose que la conscience émerge d’un système qui génère et confronte des informations. Dans cette proposition la possibilité de conscience n’est pas réduite au cerveau.
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La revue Neuron, une des revues scientifiques les plus influentes dans la communauté des neurosciences, a proposé en mai 2024 un numéro spécial sur la conscience. Les articles montrent que si les substrats neurobiologiques de la conscience ont suscité de nombreux efforts de recherche au cours des dernières décennies, il n’en demeure pas moins que les neuroscientifiques ne sont pas d’accord. Ils analysent cinq théories différentes de la conscience. Malgré l’absence de définition commune du terme « conscience », utilisé à la fois comme une « expérience », incluant les perceptions sensibles du monde extérieur (vision des couleurs), et comme une expérience subjective, qui se construit a posteriori en intégrant différentes sources d’informations, le groupe élabore des convergences entre ces théories concurrentes et apparemment contradictoires.
Des bases biologiques de la conscience toujours inconnues
Sans rentrer dans les détails et les arguments concernant ces différentes, les travaux montrent qu’il n’existe pas de théorie unifiée de la conscience et que nous ne connaissons toujours pas les bases biologiques de la conscience. Les anciennes questions autour du dualisme, qui distinguent monde physique et monde psychique et du monisme soutenant l’unicité des deux mondes ne semblent toujours pas prêtes d’être tranchées.
Cependant, même sans théorie unifiée, la possibilité d’une expérience consciente n’est plus l’apanage des humains. Elle se diffuse à travers l’arbre phylogénétique, étant désormais reconnue chez de nombreux groupes d’animaux, y compris les insectes. Le dénominateur commun entre toutes ces approches semble être la présence d’un cerveau, caractéristique partagée par la majorité des animaux, même si celui-ci est petit et de structure simple. Les éponges dépourvues de cerveau et de systèmes nerveux ne sont pas incluses dans la famille des êtres conscients. Mais qu’en est-il des bivalves (huîtres ou moules par exemple) qui ne sont pourvus que de ganglions regroupant leurs neurones, rejoindront-ils prochainement la famille des êtres conscients ?
Mais la conscience pourrait-elle exister en dehors de ce fameux système nerveux ? Cette idée radicale a été notamment proposée il y a déjà quelques années par Frantisek Baluska, biologiste cellulaire, professeur à l’Université de Bonn, et Arthur Reber, psychologue, professeur à l’Université British Columbia.
Une conscience dans chaque être vivant ?
Ils ont proposé que la conscience aurait émergée très tôt au cours de l’évolution chez les organismes unicellulaires, et serait même coïncidente avec l’apparition de la vie. La conscience serait donc une propriété intrinsèque de la vie. Cette proposition repose sur l’observation que toutes les cellules, qu’elles soient isolées ou intégrées dans un organisme multicellulaire, possèdent une capacité impressionnante à percevoir leur environnement, à traiter des informations leur permettant de prendre des décisions basiques en réponse à des stimuli externes. Certains organismes unicellulaires peuvent par exemple libérer des molécules pour se signaler les uns aux autres.
Ces processus pourraient être considérés comme une forme de conscience primitive. Et si cette proposition fait fi de la présence d’un système nerveux, elle s’appuie toutefois notamment sur l’excitabilité électrique des cellules. Le neurone et le cerveau sont considérés comme des systèmes hyperoptimisés dans l’une des parties du vivant, permettant la conscience humaine.
Cette théorie reste bien sûr très controversée, notamment en raison de l’absence de définition partagée de la conscience. De nombreux scientifiques considèrent que cette « conscience cellulaire » serait simplement une métaphore pour décrire des processus biochimiques et biophysiques complexes, sans qu’il soit nécessaire d’y inclure une notion de conscience. Ils critiquent cette théorie, en utilisant une définition traditionnellement de la conscience impliquant un système neurobiologique et une expérience subjective, peu probable ? En tout cas difficile à démontrer au niveau cellulaire.
Des plantes conscientes ?
Poursuivant leurs réflexions, Frantisek Baluska et d’autres collègues ont proposé la théorie de l’IIT développée par Giulio Tononi comme cadre possible pour explorer la question d’une forme de « proto-conscience » chez les plantes.
Appliquer l’IIT aux plantes implique d’examiner comment les plantes perçoivent, intègrent et répondent à l’information dans leur environnement sans posséder de système nerveux central. Les plantes pourraient agir de manière consciente suivant l’IIT. Elles reçoivent et intègrent des signaux de diverses sources et y répondent de manière coordonnée grâce à un réseau de communication interne constitué de connexions cellulaires, de faisceaux vasculaires connectant toutes les parties de la plante notamment par des signaux électriques. Ils considèrent que ces caractéristiques et ces réseaux de communication hautement interconnectés pourraient correspondre à l’exigence d’intégration d’informations de l’IIT permettant aux plantes une réponse unifiée malgré l’absence d’un système nerveux centralisé. Bien que les auteurs considèrent qu’il ne s’agisse que d’un niveau de conscience minimale, ces données ont bien sûr étaient immédiatement récusées.
Les principaux arguments opposés sont que les théories de la conscience sont basées sur l’existence de neurones et l’impossibilité de prouver que les plantes aient une expérience subjective de leur environnement. L’IIT autorisant de plus la conscience dans divers systèmes non vivants, elle ne serait pas suffisante pour prouver la conscience des plantes. Même si cette hypothèse reste spéculative et nécessite certainement davantage de recherche pour mieux comprendre la relation entre la complexité biologique et la conscience, l’idée que les plantes puissent être étudiées à l’aide de la théorie de l’IIT pourrait permettre d’explorer d’autres formes de traitement de l’information dans des systèmes biologiques, qu’ils soient ou non dotés de cerveaux. Il n’est par contre pas certain que ces approches aident les tenants de l’IIT, celle-ci ayant été récemment controversée, et qualifiée de « pseudoscience non testable » dans une lettre rédigée par 124 neuroscientifiques.
À notre connaissance aucune tentative de démonstration d’une autre théorie de la conscience n’a été tentée sur des organismes sans cerveau. Par contre, faisant suite aux travaux de Claude Bernard qui indiquait, dès 1878, « Ce qui est vivant doit sentir et peut être anesthésié, le reste est mort », différentes équipes dont la nôtre, se sont intéressées aux effets des anesthésiques, un des outils importants de l’étude de la neurobiologie de la conscience, sur des organismes sans cerveau.
La théorie de la conscience cellulaire, tout comme l’exploration de la théorie de l’IIT chez des organismes sans neurones peuvent apparaître provocantes, elles offrent cependant une perspective fascinante et ouvrent de nouvelles voies pour comprendre les fondements de la conscience et l’émergence des comportements dans le règne vivant. Tout comme l’attribution progressive d’une conscience à des groupes d’animaux de plus en plus éloignés des humains dans l’arbre phylogénétique, qui relancent et étendent une épineuse question philosophique et scientifique.
Ces réflexions ouvrent évidemment aussi de nombreux questionnements éthiques concernant les organismes non humains et, bien sûr, les machines connectées à des intelligences artificielles, qui pourraient s’inscrire dans un continuum de conscience. De nombreux outils et protocoles sont encore à développer pour tester ce qui reste des hypothèses et, pourquoi pas, envisager une collaboration adversariale sur la conscience sans cerveau.
Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.