Du JDD au JDNews : et au milieu de l'extrême droite trône le gouvernement

Assurance-vie mutuelle. - L'empire Bolloré / Le groupe Bolloré, Le Journal du Dimanche (JDD)

Mar 10, 2025 - 11:03
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Du JDD au JDNews : et au milieu de l'extrême droite trône le gouvernement

Du « cercle de la raison » aux bataillons contre-révolutionnaires, l'alliance objective « des extrêmes » existe bel et bien : on en a trouvé la synthèse dans les hebdomadaires de Vincent Bolloré. Au JDD et au JDNews, on peut en effet orchestrer la propagande de l'extrême droite tambours battants et, « en même temps », se constituer en caisse de résonance du pouvoir.

On y trouve des satisfecit aux politiques de Georgia Meloni (JDD, 1/09) ou des pages louangeuses sur « l'irrésistible ascension de la "princesse de glace" » (JDNews, 26/02), alias Alice Weidel, « le visage souriant de l'AFD » selon le JDD (5/01), fasciné par le parti néofasciste allemand. Des cris de joie – « God bless America » (JDNews, 22/01) –, et un Donald Trump encensé pour sa politique d'expulsion en masse des étrangers : « Goodbye America ! » (JDD, 26/01)

On y trouve bien sûr l'exploitation de certains faits divers – « Les petits martyrs de l'ensauvagement » (JDD, 16/02) –, symptômes de la « décivilisation » de la France (JDNews, 5/02), et la construction permanente de la peur de l'islam : « Voile islamique, 35 ans de combat » titre fièrement le JDD (13/10), tandis que le JDNews livre ses cauchemars hebdomadaires – « l'islamisation de la France » (26/02) et même « l'islamisation des classes », peuplées de « petits dhimmis » (16/10).

On y apprend le catéchisme, d'odes à l'enseignement catholique et au scoutisme (JDD, 22/09) jusqu'aux innombrables pages à la gloire de Notre-Dame de Paris, en passant par les portraits des « résistants » de la cause des crèches de Noël, Robert Ménard et Louis Aliot (JDNews, 18/12). Mais aussi moult articles obsessionnels sur la GPA ou la « théorie du genre » (JDD, 9/02), déplorant « le déclin des valeurs familiales » (JDD, 29/01). Bref, le « théâtre de ruines du wokisme » (JDNews, 1/01), solidement analysé dans une interview de Jean-Claude Van Damme par Éric Naulleau : « Jean-Claude Van Damme contre le wokisme. "Il n'y a pas de langage plus universel qu'un poing dans la gueule." » (JDNews, 22/01)

On y trouve évidemment une défense acharnée de C8 – « cette chaîne qu'on abat » tandis que « les cloportes exultent » (JDD, 23/02) –, victime du couperet de l'État qui « contrôle tout, dirige tout, décide de tout » : « La liberté d'expression est tolérée, mais à condition qu'elle dégouline d'idéologie gauchisante, voire marxisante. » (JDNews, 26/02)

On y trouve d'ailleurs l'assimilation du « progressisme » en « totalitarisme : mêmes objectifs, même mots d'ordre, mêmes procédés » (JDD, 8/09) ou encore l'affirmation selon laquelle la « social-démocratie thérapeutique wokisée représente la poursuite de l'URSS par d'autres moyens » (JDNews, 26/02). Naturellement, on ne compte pas les assauts contre La France insoumise, un « fanatisme idéologique et totalitaire » (JDNews, 27/11), « le parti des assoiffés de sang de la Terreur » qui « ferait de la France quelque chose comme la Corée du Nord + l'Iran, le socialisme prédateur + la charia » (JDNews, 12/02). On y trouve parallèlement des hommages à Jean-Marie Le Pen, Pascal Praud regrettant qu'« à l'heure de sa mort, le "point de détail" éclipse 70 ans d'engagement politique » (JDD, 12/01).

On y lit en l'occurrence chaque semaine les billets hallucinés de Philippe de Villiers, le JDNews hébergeant sa guerre contre l'immigration, « le terreau de l'islam, qui est le terreau de l'islamisme, qui est le terreau du terrorisme » (26/02) ou contre l'Union européenne, notamment décrite comme « un protectorat démographique africain » et « un protectorat spirituel de la nation islamique » (22/01). L'ancien eurodéputé et Pascal Praud (entre autres…) se disputant d'un hebdomadaire à l'autre le registre « ensauvagé » et décliniste, à coups de pamphlets racistes nourrissant à flux continu le fantasme du « grand remplacement » :

Pascal Praud : Qui oserait dire que la troisième génération de Portugais, d'Espagnols, de Polonais ou d'Italiens n'a jamais rejeté le pays qui avait accueilli leurs ancêtres ? […] Personne n'imaginait qu'ils fussent des Français en toc. Ils aimaient Victor Hugo, le château de Chambord, Michel Sardou et le poulet frites. Ils se mariaient à l'église et chantaient La Marseillaise les soirs de fête. Ce modèle a vécu. D'autres dieux, d'autres chansons, d'autres menus seront à la carte ces prochaines années. Mais chut ! Soumission et submersion sont des mots interdits. (JDD, 2/02)

L'alignement des droites politiques…

Bref, rien de nouveau sous le soleil : aux côtés de CNews et d'Europe 1, les deux hebdomadaires sont la vitrine du combat « civilisationnel » de Vincent Bolloré… et l'avant-poste de la contre-révolution réactionnaire. Ce qui est moins souvent souligné, c'est la légitimation constante de ces médias d'extrême droite par les gouvernements successifs d'Emmanuel Macron. Loin d'opérer le moindre « cordon sanitaire », les ministres y défilent littéralement chaque semaine, en plus de faire l'objet de Unes aussi fréquentes qu'élogieuses. Entre le 1er septembre 2024 et le 2 mars 2025, le gouvernement trône fièrement sur plus de la moitié des couvertures du JDD (15 sur 27). Si Michel Barnier est de loin le plus exposé – huit fois en seulement 90 jours d'exercice au poste de Premier ministre –, le JDD sait construire la notoriété de ses chouchous, Gérald Darmanin et Bruno Retailleau, visibles quatre fois chacun à la Une, mais aussi trois fois en couverture du JDNews. La même hiérarchisation prévaut d'ailleurs à l'antenne de CNews et d'Europe 1, où Michel Barnier, Bruno Retailleau et Gérald Darmanin ont été de très loin les trois personnalités des gouvernements successifs les plus citées au cours des six derniers mois.

Au premier coup d'œil, ces Unes ne reflètent pas « l'ensauvagement » des pages intérieures et sont pensées pour faire bonne figure : rompant avec la stratégie du choc qui fut la sienne à la tête de Valeurs actuelles – devenue dispensable dans un climat d'extrême droitisation général –, Geoffroy Lejeune perpétue la tradition « Pravda » du JDD ancienne formule [1], laquelle lui garantit des laisser-passer dans la sphère politique. Car de toute évidence, la « respectabilité » de l'hebdomadaire est acquise. Au gouvernement du moins, dont les politiques sécuritaires et xénophobes lui assurent, en prime, un accueil si ce n'est systématiquement louangeur, la plupart du temps complaisant. « Ce gouvernement penche à droite. C'est bien. », se félicite par exemple Pascal Praud au moment de la constitution de l'équipe de Michel Barnier (JDD, 22/09), tandis que Laurence Ferrari prend le relai avec son successeur, François Bayrou, décrit comme un « enfant du pays » aux « pieds bien ancrés dans la terre qu'il laboure le plus souvent possible, face à ses Pyrénées chéries ». « Le moment ou jamais de ne rien lâcher », l'encourage-t-elle lors de sa nomination. (JDNews, 18/12)

Ayant hérité de ses années à Valeurs actuelles un carnet d'adresses foisonnant au sein des milieux politique et économique, Geoffroy Lejeune soigne le pouvoir et veille à ne jamais s'aliéner les services de communication du gouvernement. Assurances-vie mutuelles… et renvois d'ascenseur garantis : entre le 1er septembre 2024 et le 2 mars 2025, pas moins de 32 interviews de ministres (essentiellement) [2] et de députés macronistes ont été obtenues, surtout par le JDD (30), soit plus d'une par numéro en moyenne. Quasiment à chaque fois, le JDD met en scène son entregent, en position d'assister à une « réunion des services de renseignement et de sécurité […] place Beauvau », de recueillir « les dernières confidences » de Gérald Darmanin, les « premières confidences » de Michel Barnier ou « la première interview » d'Antoine Armand… entre autres « exclusivités » : « Jamais, en huit ans, ce discret mais très influent ministre du président de la République [Sébastien Lecornu, ministre des Armées, NDLR] n'avait fendu l'armure. Il a choisi de le faire aujourd'hui dans les colonnes du JDD. » (12/01)

Comme chez eux dans les médias Bolloré, les ministres du camp présidentiel peuvent en outre compter sur la docilité des deux hebdomadaires pour amplifier leurs opérations de communication, articles qui s'ajoutent aux nombreux portraits et récits tricotant les « off » de ces puissants : Aurore Bergé par exemple – « un fauve en politique », celle « qui ne lâche rien » –, qui lors d'un déplacement, et « après avoir soigneusement rangé le doudou de sa fille dans la voiture qui la reconduit au ministère, […] se confie au JDD. » (19/01) En cette matière de nouveau, l'obsession Retailleau le dispute à la Darmanin-mania…

… et médiatiques, du « cercle de la raison » à l'extrême droite

Dans les pages du JDD et du JDNews, ce concert et cet alignement des droites vaut aussi pour la communauté des journalistes, experts et « intellectuels » médiatiques. Si l'on ne s'étonne guère de voir promues les stars de CNews et les vedettes d'Europe 1 [3], des personnalités médiatiques parmi les plus influentes, omniprésentes au sein des grands médias depuis au moins un quart de siècle pour certaines, défilent dans les pages des deux hebdomadaires : Franz-Olivier Giesbert, Frédéric Beigbeder, Luc Ferry, Alain Bauer, Gilles Kepel, Michel Houellebecq, Géraldine Woessner ou encore Jérôme Fourquet, gratifié de deux interviews dont l'une au titre mémorable : « "Une page de Houellebecq vaut bien un article de sociologie" » (JDD, 3/11). Raphaël Enthoven est également adoubé en tant que « l'une des voix les plus critiques des dérives du wokisme », aux côtés d'autres « figures de la contre-culture » (sic) comme BHL, Pascal Bruckner, Alain Finkielkraut, Julien Rochedy, Élisabeth Badinter, Samuel Fitoussi, Eugénie Bastié ou Rachel Khan ! (JDNews, 13/11) Naturellement, tout ce beau monde côtoie les portraits louangeurs de militants comme Robby Starbuck, « la star de l'alt-right [américaine qui] organise la résistance contre la bien-pensance » (JDNews, 9/10), comme le gouvernement partage le gâteau des Unes, interviews et articles dithyrambiques avec Jordan Bardella, Marine Le Pen, Éric Ciotti, Sarah Knaffo, Éric Zemmour et de nombreuses autres personnalités LR ou divers-droite.

Fidèles à leur projet, les hebdos Bolloré font la synthèse des droites, notamment rassemblées autour d'un soutien forcené au capital et aux politiques d'austérité. On ne compte plus les articles revendiquant la « tolérance zéro sur les déficits publics » (JDNews, 19/02) et les « 60 milliards d'économies, une indispensable baisse de dépenses » (JDD, 6/10) ; les tribunes et/ou entretiens d'Agnès Verdier-Molinié, Marc Touati ou Nicolas Bouzou ; les odes à Donald Trump qui « dégraisse le mammouth » (JDD, 2/02) ou à Javier Milei – « La thérapie de choc libérale qui réveillera l'Occident » ; « Ses leçons qui pourraient inspirer la France » (JDNews, 29/01 et 25/09) – ; ni les publireportages pour LVMH (JDNews, 19/02) et les appuis à la « révolte des grands patrons qui, à l'unisson de Bernard Arnault, dénoncent la folie des taxes d'un État autophage menaçant la production française. » (JDNews, 5/02)

C'est sans doute Mathieu Bock-Côté qui résume le mieux l'objectif de ces médias, lui qui ne cesse de clamer, semaine après semaine, son admiration pour le fondateur du Figaro Magazine Louis Pauwels : il « pourfendait le socialisme, sans jamais faire de concessions à ce qu'il traitait moins comme une idéologie que comme une pathologie – ce en quoi il avait raison » et « ne se contentait pas de polémiquer contre les conséquences du socialisme : il attaquait aussi ses principes, comme l'égalitarisme, l'utopisme et l'esprit victimaire. » (JDNews, 26/02 et 29/01) La messe est dite… et à l'évidence, le gouvernement cautionne, si ce n'est communie.

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En 2023, après une grève au JDD qui s'était soldée par le départ de 90% de la rédaction, Le Monde publiait un article à chaque fois qu'un ministre macroniste s'en allait papoter avec l'hebdomadaire. L'occasion, surtout, de surexposer les (faux) états d'âme de collègues qui s'en disaient peinés, de donner de l'écho à « la consigne du président du groupe Renaissance […] de ne pas répondre aux sollicitations du JDD version Bolloré » ou à celle « de macronistes historiques », appelant à « s'assurer que l'hebdomadaire restait dans la même tempérance avant de lui apporter toute forme de caution » (Le Monde, 22/08/2023). Puis, au fil du temps, Le Monde a cessé ses épinglages et stoppé son décompte. En octobre de la même année, Ariane Chemin décrivait entre Emmanuel Macron et les médias Bolloré un « tango acrobatique » (Le Monde, 3/10/2023). Le pas de deux aurait été une métaphore nettement plus appropriée…

Pauline Perrenot


[1] Lire Les médias contre la gauche, Acrimed/Agone, pp. 49-51.

[2] On recense 7 interviews avec des députés et 23 avec des ministres. Parmi les plus prisés, Bruno Retailleau, interviewé trois fois, Antoine Armand, Benjamin Haddad, Sébastien Lecornu et Annie Genevard, sollicités deux fois chacun.

[3] Les bons comptes faisant d'ailleurs facilement les bons amis au sein d'un empire médiatique, les pages du JDD et du JDNews regorgent d'encarts promotionnels pour les livres édités par des maisons du groupe Bolloré (Larousse, Hachette, Hatier, Fayard, Stock, etc.), dont les auteurs se trouvent être également souvent chroniqueurs dans les médias Bolloré, lesquels s'auto-abreuvent de publicités pour leurs émissions respectives.