Comprendre le trumpisme au-delà de Trump

Donald Trump n’est pas un accident de l’histoire. Sa réélection s’inscrit dans la droite ligne d’une évolution structurelle profonde de la société américaine, amorcée dès la fin de la guerre froide.

Mai 2, 2025 - 13:52
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Comprendre le trumpisme au-delà de Trump

Donald Trump n’est pas un accident de l’histoire. Sa réélection s’inscrit dans la droite ligne d’une évolution structurelle profonde de la société américaine, amorcée dès la fin de la guerre froide.

Un peu plus de cent jours après son retour à la Maison Blanche, le constat est sans appel : Donald Trump n’est plus le même président. Aux accents nationalistes et populistes de son premier mandat, s’ajoute désormais une dérive autoritaire assumée, sans précédent aux États-Unis. Il adopte aussi une vision néo-impériale de l’économie, dans un monde perçu comme un jeu à somme nulle fait de gagnants et de perdants. La coopération s’efface au profit d’une logique de domination, où seules la puissance et l’accumulation de richesse comptent.


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Ayant survécu à deux tentatives de destitution, à des procès multiples, des attaques politiques et à deux tentatives d’assassinat, Trump gouverne désormais en toute-puissance. Érigé en héros, en martyr, voire en figure messianique par ses partisans, il conçoit désormais la démocratie non comme un cadre à respecter, mais comme un simple instrument pour légitimer la conquête du pouvoir. Sa victoire électorale, sans appel cette fois, lui sert de justification pour rejeter toute contrainte institutionnelle.

Trois traits structurent sa gouvernance

Trois traits structurent sa gouvernance : la centralisation extrême du pouvoir exécutif, fondée sur la théorie controversée de « l’exécutif unitaire » ; la politisation de l’appareil judiciaire, utilisé pour régler des comptes ; et l’instrumentalisation du pouvoir fédéral pour s’attaquer aux contre-pouvoirs culturels, médiatiques et éducatifs. Sa méthode est celle du chaos : déstabiliser les adversaires, saturer l’espace médiatique, brouiller les normes démocratiques. Impulsif, réactif, gouvernant parfois au gré des émissions de Fox News ou des tendances sur Truth Social (la plateforme qu’il détient), le président a fait de l’instabilité une arme politique.

Donald Trump n’est pas un accident de l’histoire

Mais Donald Trump n’est pas un accident de l’histoire. Si son élection en 2016 avait pu sembler improbable, sa réélection est le signe d’une évolution structurelle profonde que l’on peut faire remonter à la fin de la guerre froide.

La disparition de l’Urss, et donc d’un ennemi extérieur structurant, a réorienté la confrontation politique vers la désignation d’un ennemi intérieur. La guerre culturelle est devenue la nouvelle matrice idéologique du conflit.

Deux dynamiques majeures, souvent entremêlées, la nourrissent. D’un côté, une radicalisation religieuse animée par des courants nationalistes chrétiens – comme la Nouvelle Réforme apostolique – qui rejettent les évolutions sociétales et appellent à l’instauration d’une véritable théocratie. De l’autre, une crispation raciale, attisée par la peur du déclin démographique blanc et l’hostilité aux avancées en matière de droits civiques.

Une guerre culturelle

Dès les années 1990, Pat Buchanan annonçait cette mutation. Dans son discours à la convention républicaine de 1992, il déclarait :

« Une guerre culturelle est en cours pour l’âme de l’Amérique […] aussi cruciale que la guerre froide elle-même. »

Trop radical pour son époque, Buchanan prônait déjà une « Amérique blanche », chrétienne et conservatrice, opposée aux élites cosmopolites. Ses idées, marginalisées alors, ont préparé le terrain du trumpisme.

Newt Gingrich, président républicain de la Chambre des représentants de 1995 à 1999, a lui aussi joué un rôle central dans la transformation du parti conservateur et la vie politique américaine. Avec son initiative du « Contrat avec l’Amérique », il introduit une stratégie fondée sur l’affrontement permanent. Il fait notamment distribuer à tous les candidats républicains une brochure intitulée « Langage : un mécanisme clé de contrôle », qui énumère des mots valorisants à utiliser pour se décrire, et, ceux, fortement péjoratifs – comme « corrompus », « immoraux » ou « traîtres » – à employer pour discréditer les adversaires.

Cette rhétorique agressive a contribué à faire de l’opposition politique un ennemi, ouvrant ainsi la voie à une droite où la quête de victoire prime sur le respect des normes démocratiques.

Des mondes parallèles de désinformation et d’indignation

Parallèlement, l’émergence d’un nouvel écosystème médiatique a amplifié ces tensions. Avec la création de Fox News en 1996, l’explosion des talk-shows conservateurs, comme celui de l’animateur Rush Limbaugh dans les années 1990, puis des réseaux sociaux dans les années 2000, la droite états-unienne s’est dotée d’outils puissants pour radicaliser l’opinion.

Les bulles informationnelles, alimentées par les algorithmes enferment aujourd’hui les citoyens dans des mondes parallèles, où la désinformation et l’indignation l’emportent sur le débat rationnel. Ceci a contribué à la polarisation du paysage politique, voire de la société tout entière.

À cette recomposition idéologique et médiatique s’ajoute une crise plus large : celle du consensus néolibéral adopté après la guerre froide. Les promesses de prospérité ont laissé place à la désindustrialisation, aux inégalités croissantes et à un ressentiment profond. Les chocs successifs – du 11-Septembre à la crise financière de 2008, jusqu’à la pandémie de Covid-19 – et les guerres permanentes sans véritables victoires ont renforcé la défiance envers les élites.

La nostalgie d’une Amérique triomphante blanche, chrétienne et masculine

Trump incarne cette colère. Il promet la reconquête d’une Amérique idéalisée, l’effacement des avancées sociales récentes, et l’affirmation d’une identité nationale fondée sur la religion et la race. Son populisme est d’abord une réponse émotionnelle à un sentiment d’injustice, d’humiliation et de perte de repères.

Donald Trump n’est pas seulement un produit de la crise démocratique des États-Unis : il en est la cristallisation spectaculaire. Il incarne la synthèse des années 1990, décennie fondatrice du ressentiment identitaire, de la guerre culturelle et de la dérégulation médiatique. Hors norme, perçu comme un outsider, il n’a jamais été jugé comme un politicien traditionnel, mais comme l’incarnation d’un « self-made man », businessman à succès et vedette de téléréalité.

Sa parole, transgressive et provocatrice, fonctionne comme un retour du refoulé, y compris la cruauté et l’humiliation de l’adversaire. Elle est jouissive pour sa base, car elle bouscule les codes, piétine le politiquement correct et flatte le fantasme d’une reconquête identitaire.

Trump promet la puissance, la revanche, la nostalgie d’une Amérique triomphante blanche, chrétienne et masculine.

L’histoire n’est pas écrite

Et il n’est plus seul. Le soutien actif d’acteurs économiques et technologiques comme Elon Musk, désormais figure clé de la droite radicalisée sur le réseau X, renforce cette dynamique. Ensemble, ils ont dessiné les contours d’un nouveau pouvoir autoritaire culturel et numérique, où l’influence prime sur l’institutionnel.

Ce n’est pas seulement un homme que l’Amérique a élu à nouveau. C’est un style, une époque, et une vision du monde fondée sur la domination, la disruption et le rejet des règles. Toutefois, l’histoire n’est pas écrite : grisé par l’hubris et miné par l’incompétence, le trumpisme pourrait se fracasser contre le mur du réel, laissant derrière lui des conséquences pour les États-Unis comme pour le reste du monde.The Conversation

Jérôme Viala-Gaudefroy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.