Comment les hôpitaux publics et les cliniques privées peuvent-ils mieux s’articuler ?
Les dépenses de santé croissantes à l’hôpital public, la surcharge de travail des personnels et les inégalités d’accès au soin mettent à mal le système de santé français, au profit des cliniques privées.

Les dépenses de santé croissantes à l’hôpital public conjuguées notamment à la surcharge de travail des personnels et aux inégalités d’accès au soin mettent à mal le système de santé français, au profit des cliniques privées. Améliorer la gouvernance et s’inspirer de modèles internationaux pourraient inverser cette tendance.
Le système de santé français se distingue par son caractère universel et son haut niveau de remboursement. Le reste à charge des ménages français, limité à 8,7 % des dépenses totales de santé, est le plus faible au monde.
Cette spécificité garantit en théorie un accès universel et abordable aux soins pour tous les citoyens. Le système de santé français engendre cependant des déficits chroniques et des contraintes financières majeures. Son coût global avoisine dorénavant 12 % du PIB.
Des dépenses en augmentation à l’hôpital
Le modèle actuel de financement de la santé, principalement fondé sur les cotisations sociales versées par les entreprises, reste vulnérable aux fluctuations économiques, tandis que son coût pour le secteur productif suscite des débats sur la compétitivité du pays. Le financement public (38 % du financement total) par la fiscalité soulève également des questions de soutenabilité.
En 2023, les dépenses de santé en soins ambulatoires, c’est-à-dire en médecine de ville ou en établissements de santé sans hospitalisation, ont bondi (+5,7 %), portées par les médecins spécialistes (+6,6 %) et les auxiliaires médicaux (+6,0 %), ainsi que les transports sanitaires (+10,8 %). Les médicaments en ambulatoire ont atteint 33 milliards d’euros, une hausse due notamment aux médicaments innovants.
Les dépenses liées au « 100 % santé », ce dispositif destiné à donner à tous l’accès aux soins coûteux que constituent l’optique, les audioprothèses et les soins dentaires, sont en forte progression (+5,9 %), notamment en ce qui concerne l’optique (+14,2 %).
Pour autant, la dynamique des soins n’est pas la même dans les secteurs public et privé. En 2023, à l’hôpital public, le coût des soins connaît une augmentation de 3,6 %. C’est notamment la conséquence de la nouvelle hausse des rémunérations à l’hôpital public, notamment des gardes, ainsi que de la hausse des prix de l’énergie.
En revanche, dans le secteur privé (cliniques privées, laboratoires, réseaux de santé indépendants), les coûts demeurent stables, avec une légère hausse de 0,4 % en 2023. Les coûts y sont généralement mieux maîtrisés et augmentent moins rapidement que dans le secteur public.
Surcharge de travail et ressources limitées dans le public
Les enquêtes de la Drees (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) sur les conditions de travail dans les établissements de santé mettent en lumière que les soignants qui exercent dans les hôpitaux publics font face à des pressions plus importantes, comme la surcharge de travail et des ressources limitées, ce qui affecte leur bien-être. En revanche, les établissements privés offrent des conditions de travail perçues comme plus favorables.
Il est intéressant de noter que les patients eux-mêmes privilégient de plus en plus le secteur privé, comme en témoigne la forte hausse des soins en 2023, qui s’élève à 6,3 %. Le volume d’activité dans le secteur privé dépasse de 16 % celui de 2019, tandis que, dans le secteur public, il enregistre une baisse de 5 % par rapport à 2019.
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Alors, faut-il accorder une place plus importante au secteur privé ? La question mérite d’être posée.
Une France des « laissés pour compte » du système de santé
Malgré le coût élevé du système de santé français, d’importants segments de la population demeurent en effet insuffisamment pris en charge. Environ 30 % de la population française, soit près de 20 millions de personnes, vivent dans des zones qualifiées de déserts médicaux où l’accès aux professionnels de santé est limité.
Quant aux délais d’attente avant d’obtenir un rendez-vous médical, hors situations d’urgence, ils peuvent se révéler importants dans certains territoires et selon les spécialités médicales (principalement en ophtalmologie, chirurgie dentaire, psychiatrie, cardiologie, endocrinologie et gynécologie).
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Bref, malgré un investissement substantiel dans le système de santé, des défis persistent en matière d’accès équitable aux soins en France.
S’inspirer de la Suède, de l’Australie ou de Singapour
En termes de capacités, le secteur public représente en France à ce jour un peu plus des deux tiers des lits et places en médecine, chirurgie et obstétrique (MCO), tandis que le privé représente le quart, le solde (9 %) revenant aux établissements privés à but non lucratif.
Dans les pays nordiques, tels que la Suède, la Norvège, le Danemark et la Finlande, la gouvernance des hôpitaux publics est largement décentralisée, chaque comté étant responsable de l’organisation et du financement des services de santé sur son territoire. Cette structure décentralisée confère aux administrateurs d’hôpitaux une autonomie substantielle, leur permettant d’adapter la prestation des soins à la demande et aux ressources disponibles. La Suède consacre par exemple 10,9 % de son PIB aux dépenses de santé, malgré d’importantes distances à couvrir, une faible densité et une population globalement plus âgée qu’en France.
Pour autant, « le système de santé suédois, organisé de manière très décentralisée et peu comparable à la France, est confronté aujourd’hui aux mêmes défis de continuité des soins et de prise en charge dans des délais raisonnables », peut-on lire dans un rapport de la Commission des affaires sociales du Sénat français.
L’Australie, souvent citée dans les études de l’OMC et de l’OCDE, relève, quant à elle, des défis uniques liés à son vaste territoire et à ses déserts médicaux. Son système de santé mixte combine services publics et privés. Les hôpitaux publics, majoritaires, assurent la plupart des soins hospitaliers avec des services gratuits ou à coût réduit via le système Medicare, tandis que les hôpitaux privés représentent 33 % des lits.
Les dépenses de santé australiennes se limitent à 10 % du PIB. Là encore, un élément clé de la gouvernance réside dans le fait que les conseils d’administration de nombreux hôpitaux publics adoptent des pratiques de gestion inspirées de leaders du secteur privé, bien que la majorité des lits soient de propriété publique.
Enfin, Singapour, considéré comme le meilleur système de santé au monde, adopte un modèle mixte intégrant des éléments publics et privés. Les hôpitaux publics, appelés restructured hospitals, appartiennent au gouvernement mais sont gérés comme des entités privées, offrant des soins subventionnés à la population. Avec environ 80 % des lits hospitaliers dans le secteur public, Singapour parvient, grâce à des pratiques de gestion modernes, à maintenir des dépenses publiques en santé limitées à seulement 3,5 % du PIB, avec une part publique de 61 %.
Améliorer la gouvernance et la coordination public-privé
À l’heure où la France fait face à une nouvelle crise des services d’urgence, l’étude des Annales françaises de médecine d’urgence, publiée en 2022, confirme que la qualité de vie au travail constitue le premier facteur d’attraction, le deuxième cité étant la facilité à trouver des lits disponibles.
La gouvernance représente ainsi un levier crucial.
Il est urgent de renforcer la coordination entre le secteur public et privé, en partageant tant les meilleures pratiques que les données des patients et en favorisant des partenariats afin de réduire les délais d’accès aux soins.
Des incitations financières et logistiques doivent être mises en place pour attirer les professionnels de santé dans les zones médicalement sous-desservies, tandis qu’une simplification des aides s’avère nécessaire pour mieux soutenir les populations les plus précaires.
Enfin, et surtout, des innovations managériales inspirées des modèles nordique, australien et singapourien pourront offrir des pistes de solutions.
Serge Besanger ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.