Chicago, Houston, San Francisco… un krach budgétaire se profile pour les villes américaines

Des coûts en hausse et des recettes qui baissent, c’est le cocktail rencontré par de nombreuses villes des États-Unis. Et l’administration Trump pourrait les abandonner à leur sort. Jusqu’au krach ?

Mar 6, 2025 - 16:03
 0
Chicago, Houston, San Francisco… un krach budgétaire se profile pour les villes américaines

Des coûts en hausse et des recettes qui baissent, c’est le dangereux cocktail que connaissent de nombreuses villes des États-Unis. Et l’administration Trump pourrait les abandonner à leur sort, le président ayant dit tout le mal qu’il pense des grandes villes. Un abandon qui pourrait aller jusqu’à laisser un krach survenir ?


Cinq ans après le début de la pandémie de Covid-19, de nombreuses villes états-uniennes s’adaptent encore tant bien que mal à la « nouvelle normalité », avec davantage de télétravail et une activité économique réduite dans les centres-villes. D’autres facteurs, tels que les régimes de retraite sous-financés des employés municipaux, font basculer de nombreux budgets municipaux dans le rouge.

Si ces difficultés budgétaires des villes ne sont pas nouvelles, elles touchaient jusqu’ici principalement les villes de petite taille, pauvres ou dirigées par des gestionnaires incompétents. Aujourd’hui, même de grandes villes comme Chicago, Houston ou San Francisco notamment, sont en proie à de graves difficultés financières.


Du lundi au vendredi + le dimanche, recevez gratuitement les analyses et décryptages de nos experts pour un autre regard sur l’actualité. Abonnez-vous dès aujourd’hui !


À terme, cela pourrait menacer le pays tout entier sur le plan financier, tant l’ampleur que la crise pourrait prendre est grande. Les causes sont multiples, et l’on peut citer le changement climatique, le déclin de l’activité dans les centres-villes, la perte de fonds fédéraux et des engagements importants en matière de pensions de retraite. Les coupes budgétaires abondent dans de nombreuses villes des États-Unis alors que l’inflation persiste et que les mesures de relance liées à l’époque de la pandémie voient leur ampleur diminuer.

D’inquiétants précédents au XXᵉ siècle

De nombreuses villes des États-Unis ont été confrontées à des crises budgétaires au cours du siècle dernier, pour diverses raisons. Le plus souvent, ces difficultés financières survenaient après un ralentissement économique ou une forte baisse des recettes fiscales.

Les municipalités de Floride ont commencé à faire défaut en 1926 après l’effondrement qui a suivi un boom immobilier. Les défauts de paiement des municipalités étaient fréquents dans tout le pays dans les années 1930, durant la Grande Dépression. À mesure que le chômage augmentait, les dépenses sociales gonflaient et les recettes fiscales diminuaient.

En 1934, le Congrès a modifié le Code états-unien des faillites pour permettre aux municipalités de déposer officiellement le bilan. Par la suite, 27 États ont promulgué des lois autorisant les villes à devenir débitrices et à demander la protection de la loi sur les faillites.

Comment sortir de la faillite ?

Déclarer faillite n’était pas une panacée. Si cela permettait aux villes de refinancer leur dette ou d’étaler les échéances de paiement, cela pouvait aussi entraîner une augmentation des impôts et des taxes pour les habitants, ainsi qu’une baisse des salaires et des avantages sociaux pour les employés municipaux. Et la mise en faillite risquait de stigmatiser une ville pendant de nombreuses années par la suite.

Dans les années 1960 et 1970, de nombreux habitants et entreprises ont quitté les villes pour s’installer dans les banlieues voisines. Plusieurs villes, dont New York, Cleveland et Philadelphie, ont eu du mal à rembourser leurs dettes à mesure que leur assiette fiscale diminuait.


À lire aussi : De quoi les images de l’effondrement de Detroit sont-elles le nom ?


À la suite de l’effondrement du marché immobilier en 2008-2009, des villes comme Detroit, San Bernardino, Californie et Stockton, Californie, ont déposé le bilan. D’autres villes ont rencontré des difficultés similaires, mais étaient situées dans des États qui n’autorisaient pas les municipalités à déclarer faillite.

Même les grandes juridictions aisées peuvent dérailler financièrement. Par exemple, le comté d’Orange, en Californie, a fait faillite en 2002 après que son trésorier Robert L. Citron a poursuivi une stratégie d’investissement risquée de transactions complexes à effet de levier, perdant quelque 1,65 milliard de dollars de fonds publics.

Aujourd’hui, les villes sont confrontées à une convergence de coûts croissants et de revenus décroissants dans de nombreux endroits. Au point que la crise fiscale dans les villes est désormais un défi national omniprésent.

Catastrophes climatiques

Le changement climatique et l’augmentation du nombre de catastrophes majeures qui en découlent exercent une pression financière sur les municipalités à travers le pays.

Les événements tels que les incendies de forêt et les inondations ont un double effet sur les finances des villes. Tout d’abord, il faut dépenser de l’argent pour reconstruire les infrastructures endommagées, telles que les routes, les conduites d’eau et les bâtiments publics. Ensuite, après la catastrophe, les villes peuvent agir de leur propre initiative ou être tenues, en vertu de la législation nationale ou fédérale, de réaliser des investissements coûteux pour se préparer à la prochaine tempête ou au prochain incendie de forêt.

À Houston, par exemple, les décisions de justice rendues après plusieurs années d’inondations graves obligent la ville à dépenser 100 millions de dollars pour réparer les rues et les canalisations d’ici à la mi 2025. Cette exigence augmentera le déficit du budget annuel de Houston à 330 millions de dollars.

Dans le Massachusetts, les villes de Cape Cod dépensent des millions de dollars pour passer des fosses septiques aux égouts publics et moderniser les stations d’épuration des eaux usées. La croissance démographique a fortement augmenté la pollution de l’eau sur le cap, et le changement climatique favorise la prolifération d’algues toxiques qui se nourrissent des nutriments présents dans les eaux usées.

L’incertitude croissante quant aux coûts totaux de l’atténuation et de l’adaptation au changement climatique conduira inévitablement les agences de notation à abaisser la note de crédit des municipalités. Cela augmentera les coûts d’emprunt des villes pour des projets liés au climat, comme la protection des côtes et l’amélioration du traitement des eaux usées.

Des retraites sous-financées

Les villes dépensent également beaucoup d’argent pour leurs employés, et de nombreuses grandes villes ont du mal à financer les retraites et les prestations de santé de leur main-d’œuvre. Comme les retraités municipaux vivent plus longtemps et ont besoin de davantage de soins de santé, les coûts totaux augmentent.


Du lundi au vendredi + le dimanche, recevez gratuitement les analyses et décryptages de nos experts pour un autre regard sur l’actualité. Abonnez-vous dès aujourd’hui !


Par exemple, Chicago est actuellement confrontée à un déficit budgétaire de près d’un milliard de dollars, qui résulte en partie du sous-financement des retraites de près de 30 000 employés du secteur public. La ville a 35 milliards de dollars de passifs non financés au titre des retraites et près de 2 milliards de dollars de prestations de santé pour les retraités. Quatorze milliards de prestations sociales non financées sont dues aux enseignants de Chicago.

Des recherches en sciences politiques ont montré depuis longtemps que les dirigeants politiques ont tendance à sous-financer les retraites et les prestations de retraite des fonctionnaires. Cette approche fait supporter le coût réel de la police, de la protection contre les incendies et de l’éducation aux contribuables du futur.

Des centres-villes en difficulté et un soutien fédéral moindre

Les villes ne sont pas seulement confrontées à une augmentation des coûts, elles perdent également des revenus. Dans de nombreuses villes des États-Unis, l’activité économique liée au commerce de détail et aux bureaux commerciaux est en déclin.

Les promoteurs ont construit trop de surfaces commerciales, créant une offre excédentaire. La hausse des espaces commerciaux vacants induit des recettes fiscales plus faibles. Dans le même temps, l’aide fédérale liée à la pandémie, qui a permis un temps d’amortir les difficultés rencontrées par les finances municipales de 2020 à 2024 s’amenuise.

Les gouvernements des États et les administrations locales ont reçu 150 milliards de dollars dans le cadre de la loi CARES (Coronavirus Aid, Relief, and Economic Security Act) de 2020 et 130 milliards de dollars supplémentaires par le biais de la loi de 2021 American Rescue Plan Act.

Cependant, cette largesse fédérale, dont certaines villes se sont servies pour combler des déficits budgétaires croissants, touche à sa fin.

Résistance aux nouvelles taxes

Du côté de leurs ressources, les municipalités peuvent agir sur différentes bases taxables : les ventes de biens et services, les entreprises, les biens immobiliers et les services publics. Néanmoins, il peut être très difficile d’augmenter les impôts municipaux, en particulier les impôts fonciers.

En 1978, la Californie a adopté la Proposition 13, une mesure soumise à référendum qui limitait les augmentations de l’impôt foncier au taux d’inflation ou à 2 % par an, le plus faible des deux étant retenu. Cette campagne très médiatisée a créé un discours généralisé selon lequel les impôts fonciers étaient hors de contrôle, et elle a rendu très difficile pour les élus locaux de soutenir les augmentations d’impôts fonciers.

En raison de plafonds tels que la Proposition 13, à cause d’une opinion publique qui continue d’estimer que les impôts sont trop élevés et du fait d’une résistance politique, les impôts fonciers ont eu tendance à être inférieurs à l’inflation dans de nombreuses régions du pays.

La crise qui s’annonce

Si l’on prend tous ces facteurs en compte, une crise fiscale d’ampleur se profile. Les petites villes aux budgets modestes sont particulièrement vulnérables. Mais les villes plus grandes et plus riches le sont aussi, comme San Francisco avec son marché des bureaux en plein effondrement, ou Houston, New York et Miami, qui sont confrontés à des coûts croissants liés au changement climatique.

Les responsables de Detroit réagissent aux remarques désobligeantes de Donald Trump sur la ville lors d’un discours de campagne, le 10 octobre 2024.

Un directeur municipal qui dirige une municipalité aisée du nord-ouest du Pacifique indiquait que, dans ces circonstances difficiles, les représentants politiques doivent être plus francs et transparents avec leurs électeurs et expliquer de manière convaincante comment et pourquoi l’argent des contribuables est dépensé.

Les efforts visant à équilibrer les budgets municipaux sont l’occasion de parvenir à un consensus avec le public sur ce que les municipalités peuvent faire, et à quel prix. Les mois à venir montreront si les élus et les habitants des villes sont prêts pour ce dialogue qui s’annonce difficile.

Il est très peu probable que l’administration du président Donald Trump vienne à la rescousse des zones urbaines, en particulier des villes plus libérales comme Detroit, Philadelphie et San Francisco. Trump a dépeint les grandes villes gouvernées par des démocrates dans les termes les plus sombres – qualifiant, par exemple, Baltimore de « désordre infesté de rongeurs » et Washington D. C., de « piège mortel, sale et gangrené par le crime ».

L’animosité de Trump envers les grandes villes, qui était un élément clé de sa campagne de 2024, pourrait devenir une des caractéristiques de son second mandat.The Conversation

John Rennie Short ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.