Affaire Depardieu: ce que cette époque fait à la masculinité

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Mar 26, 2025 - 16:21
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Affaire Depardieu: ce que cette époque fait à la masculinité

L’affaire de Gérard Depardieu ne semble plus relever de la justice. Elle est devenue un vaste champ de bataille…


Je regarde l’affaire Depardieu avec un mélange de malaise, de tristesse et de lucidité. Non pas parce que je veux défendre un homme, une célébrité, ou minimiser les souffrances des femmes qui disent avoir été blessées ou abusées. Mais parce que cette affaire, comme d’autres avant elle, met à nu quelque chose de plus vaste, de plus profond : notre rapport malade au pouvoir, à la masculinité, à la parole, et à la violence.

Un procès qui appelle à la réflexion collective

Gérard Depardieu n’est pas un monstre. Il est un homme, un acteur, un corps vivant et débordant, comme souvent les grands artistes. Il porte en lui l’excès, le désir, parfois la confusion des limites. Il est aussi le produit d’un monde — celui du cinéma, du pouvoir, de l’impunité masculine — qui a trop longtemps toléré des comportements douteux, et parfois inacceptables. Il est à la fois responsable de ses gestes et victime d’un système qui l’a glorifié pour cela. Le problème, ce n’est pas seulement lui. C’est ce que nous avons fait collectivement de cette confusion entre désir et domination, entre séduction et emprise.

Mais ce qui me trouble aujourd’hui, c’est que cette affaire ne semble plus relever de la justice. Elle est devenue un champ de bataille. Depardieu n’est plus un homme à juger, à comprendre, éventuellement à condamner — il est un symbole à abattre. Et ce que je vois dans cette violence, c’est une colère légitime — celle des femmes blessées, méprisées, réduites au silence — qui, dans certains discours féministes contemporains, se transforme en stratégie de prise de pouvoir.

On ne combat plus un abus de pouvoir, on combat la masculinité elle-même.

Or c’est là que je me sens obligé de parler. Car il me semble qu’on oublie une chose essentielle : la masculinité n’est pas la violence. La masculinité n’est pas l’oppression. Elle est une énergie offensive, oui, une force tournée vers l’extérieur, vers le risque, la confrontation, parfois le conflit. Et cette conflictualité-là, cette tension fondatrice de l’humain, elle existe aussi dans le registre du désir et de la séduction.

Bug de civilisation

Il faut oser le dire : la drague masculine est souvent offensive. Elle est directe, parfois maladroite, parfois insistante. Ce n’est pas un bug de civilisation, c’est une donnée anthropologique. Depuis toujours, les codes du jeu amoureux sont asymétriques, et cela ne fait pas de chaque homme un prédateur. Le désir n’est pas toujours poli. Il bouscule, il s’expose, il prend des risques — et c’est là, justement, qu’il devient humain.

Mais c’est aussi là que le basculement peut survenir : quand cette énergie devient abus de pouvoir. Et c’est cela qu’il faut nommer, distinguer, combattre. Pas l’offensive du désir, mais l’emprise du pouvoir. Pas la masculinité en tant que telle, mais ce qu’un certain patriarcat a fait de la relation : une structure de domination, souvent invisible, où l’autre devient un objet, un territoire, une proie.

Ce glissement est fondamental. Car ce n’est pas la virilité qu’il faut effacer, ni la séduction qu’il faut aseptiser, mais l’abus de pouvoir dans toutes ses formes. Et cela dépasse largement la question des sexes. Le pouvoir se prend, se garde, s’impose dans tous les espaces : au travail, en politique, dans les familles, dans les milieux culturels. Il écrase, invisibilise, humilie — parfois sans bruit. Et il n’est pas toujours masculin.

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Je vois aujourd’hui dans une certaine frange du féminisme une tentation de purger l’espace public de toute forme d’ambiguïté, de tension, de complexité. Tout ce qui peut ressembler à une prise de pouvoir — même dans la séduction, même dans le langage — est immédiatement assimilé à une agression. On ne distingue plus l’offensive de la violence. Et c’est une catastrophe anthropologique.

Car la relation entre les sexes, depuis toujours, est traversée de tensions, de désirs, d’inégalités, de malentendus. Ce n’est pas une guerre. C’est une danse difficile, parfois maladroite, parfois injuste. Mais cette danse exige qu’on accepte la part conflictuelle de la rencontre humaine. Qu’on accepte de se heurter, de se chercher, de s’opposer. Pas pour dominer, mais pour créer du lien, du vrai.

Je ne dis pas que tout est acceptable. Je ne dis pas que les femmes doivent supporter des gestes ou des mots qui les blessent. Mais je dis que le monde ne se réparera pas en supprimant le masculin, en l’aseptisant, en le condamnant en bloc. Ce que nous devons combattre, c’est l’abus de pouvoir — dans toutes ses formes, qu’il soit sexuel, économique, institutionnel, ou symbolique. Et cela vaut pour les hommes, mais aussi pour les femmes. Car le pouvoir corrompt tout le monde, pas seulement les hommes.

La parole des femmes n’est pas supérieure à la parole des hommes

Je veux vivre dans un monde où la parole des femmes est entendue. Mais je veux aussi vivre dans un monde où les hommes ne sont pas réduits au silence par peur d’être mal interprétés. Où l’on peut dire « je désire », « je conteste », « je m’oppose », sans être accusé de violence.

Depardieu, qu’on le veuille ou non, nous force à penser tout cela. Il est le miroir grossissant de notre époque : celle qui ne supporte plus l’ambiguïté, qui préfère l’élimination à la réparation, la pureté morale à la complexité humaine. Et si nous n’apprenons pas à regarder ce miroir, nous continuerons à produire des figures d’exclusion, à gauche comme à droite, chez les hommes comme chez les femmes.

Il est temps de reconstruire une culture du lien. Une culture du masculin non-violent mais pas castré. Une culture de la parole libre mais responsable. Une culture où le conflit n’est pas évité, mais traversé, ensemble.

Sinon, nous serons tous perdants (et les gagnants seront ceux qui voudront  nous imposer un patriarcat régressif et violent).

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