Adolescentes et résistantes pendant la Seconde Guerre mondiale : naissance d’un engagement

Si elles sont souvent restées dans l’ombre, un certain nombre de jeunes femmes, parfois encore adolescentes, se sont engagées dans la Résistance. Qui étaient-elles ?

Avr 29, 2025 - 16:44
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Adolescentes et résistantes pendant la Seconde Guerre mondiale : naissance d’un engagement

Si elles sont souvent restées dans l’ombre, un certain nombre de jeunes femmes, parfois encore adolescentes, se sont engagées dans la Résistance. Qui étaient-elles ? Comment leur action pendant la Seconde Guerre mondiale a-t-elle orienté leurs choix et leur militantisme à venir ? La recherche s’empare de ces questions.


En avril 1945, le camp de concentration de Mauthausen en Autriche est libéré par les forces alliées. Gisèle Guillemot fait partie des prisonnières et des prisonniers évacués. Résistante, elle avait été arrêtée deux ans plus tôt, en avril 1943. Comme elle, de nombreuses jeunes femmes se sont engagées contre l’ennemi nazi.

Quatre-vingts ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, des zones d’ombre persistent autour de ces figures, « ossature invisible de la Résistance ». Qui étaient-elles ? Comment sont-elles entrées en résistance ? Quelle place cet engagement a-t-il eu dans leur parcours ?


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À partir d’une recherche en cours sur les résistantes en Normandie, cet article propose de se pencher sur les parcours de certaines d’entre elles. Elles ont entre 15 et 20 ans au début de la guerre et lors de leurs premiers actes de résistance. Leurs actions sont diverses : distributions de tracts, sabotages, transports d’armes et de matériel, transmission de renseignements, rédaction et impression de journaux clandestins…

La Résistance se définit comme un mouvement social particulièrement complexe et original. L’engagement militant et politique que cela sous-tend pose la question de son origine et de ses causes. Les résistantes justifient généralement leurs actions comme naturelles et allant de soi. Mais l’observation de leurs parcours biographiques amène à questionner les déterminants sociaux et politiques issus de leur enfance et les différentes sphères de socialisation côtoyées.

Premiers pas vers la Résistance : un héritage familial ?

La famille est généralement caractérisée comme la principale sphère de socialisation politique primaire. Dans le cas des jeunes résistantes, les événements vécus dans ce cadre, ainsi que les valeurs transmises par l’éducation montrent une réelle politisation pendant l’entre-deux-guerres.

Les positionnements idéologiques des parents des résistantes, lorsqu’ils sont identifiés, reflètent une enfance vécue dans un cadre orienté politiquement. Par ailleurs, dans leurs discours, les résistantes opèrent elles-mêmes la liaison entre leur éducation familiale et les idées déterminant leur engagement dans la Résistance.

C’est le cas de Paulette Lechevallier-Renault, née en 1920, 19 ans au début des hostilités. Si ses parents, décédés jeunes, n’ont pas manifesté d’orientations politiques claires, elle porte une attention particulière au rejet de l’injustice, inculqué par son père, qui l’a conduite à « ne pas accepter la guerre ».

« Simone Segouin, portrait d’une jeune femme dans la Résistance » (France 3 Centre-Val de Loire, 2021).

Certains événements historiques sont prégnants dans les biographies des résistantes. La Première Guerre mondiale en particulier laisse une trace dans le parcours des familles, en figurant d’abord comme un des événements historiques selon lequel les individus situent leur propre parcours.

Marie-Thérèse Fainstein, née Lavenue, est née en 1921, soit « trois ans après la fin de la Première Guerre mondiale » comme elle le précise dans un témoignage. D’autres résistantes ont connu la perte d’un parent, souvent leur père, décédé sur le front, tué par les Allemands.

L’occupation du territoire par les Allemands rappelle d’ailleurs pour les familles l’occupation vécue jusqu’à la Grande Guerre, en particulier en Alsace-Lorraine. L’existence d’un sentiment patriotique est commune au sein des différentes familles. Cet attachement à l’identité nationale s’observe dans les discours des résistantes relatifs à leur prise de décision et à leur volonté d’agir.La famille s’illustre donc comme un espace où les marques des contextes sociohistoriques et politiques forment des dispositions à l’engagement militant.

De même, les constats autour de la socialisation primaire à l’engagement dépassent les clivages de genre entre hommes et femmes présents dans la société française de l’entre-deux-guerres où l’éducation à la contestation et au militantisme est plutôt transmise aux garçons qu’aux filles.

Un militantisme nourri par l’école et les pairs

La socialisation par l’école ainsi que par les pairs renforce ces dispositions et contribue à forger l’outillage politique des résistantes. Aussi, bien que des résistantes agissent dans des cellules de résistance familiales, pour d’autres, les premières actions se font dans des cercles extérieurs à l’environnement parental.

La décision d’agir est inhérente à un militantisme qui s’exerce déjà, en lien avec d’autres causes politiques défendues à cette période. Par exemple, la prise de position face à la non-intervention en Espagne est citée de nombreuses fois dans les carrières de militantes des résistantes. Cet élément matérialise un militantisme affirmé : participation aux campagnes de solidarité, actions de solidarité envers les enfants espagnols…

« Résistantes. Des histoires passées sous silence », War Memories, IUT de Lannion, 2019.

Gisèle Guillemot date notamment le « commencement » de sa vie politique lors de ses 14 ans, au moment de l’accueil des réfugiés espagnols en France auquel elle a contribué.

Le cadre scolaire et les études forment un espace de socialisation politique parallèle, où les espaces d’expression sont multiples. Le rôle joué par l’école est fondamental dans le parcours de Gisèle Guillemot et, en particulier, l’influence de ses directeurs, dans son engagement antifasciste et contre l’occupant nazi :

« C’est dans cette école que j’ai pris le goût de la vie politique et sociale. »

Les canaux de construction des premières actions de résistance se font par l’entremise d’individus rencontrés lors des études. Le tournant de Marie-Thérèse Fainstein (née Lavenue) dans la Résistance débute par la lettre reçue d’une de ses camarades de l’École normale d’institutrices et cette question :

« Est-ce qu’on pourrait faire quelque chose ? »

Les étapes qui ont permis à ces jeunes femmes de devenir des résistantes traduisent des parcours variés et des espaces multiples de socialisation au militantisme. La famille, bien que partie prenante de la construction des idées politiques, s’accompagne d’autres groupes sociaux fréquentés par les résistantes, tels que les individus issus de leur lieu de formation ou leurs collègues et amis.

Les traces de la Résistance après la Libération

Pour ces jeunes femmes, dont les prises de position se construisent avant-guerre, la Résistance apparaît comme le terreau d’un engagement politique à venir.

Augusta Pieters, née Dolé, avait à peine 18 ans au début de la guerre, et tout juste 20 ans lorsqu’elle effectue le ravitaillement de résistants et la liaison entre des membres du Parti communiste clandestin. Après-guerre, elle participe activement à la mise en place de l’Union des femmes françaises (UFF) à Dieppe et milite au Parti communiste français (PCF). Lors des élections municipales de 1959, elle est candidate sur la liste du PCF dans cette même ville. Son engagement se poursuit, notamment pendant la guerre d’Algérie qu’elle réprouve en menant des actions diverses.

En parallèle, les résistantes s’illustrent dans des engagements associatifs, constitutifs d’une continuité des groupes sociaux issus de la Résistance, y compris de la déportation.

Gisèle Guillemot milite en particulier au sein de la Fédération nationale des déportés, internés et résistants patriotes (FNDIRP).

De son côté, Marie-Thérèse Fainstein (née Lavenue) est membre de plusieurs associations, telles que l’Association de déportés et internés de la Résistance et familles de disparus en Seine-Maritime (ADIF).

Les 80 ans de la fin de la Seconde Guerre mondiale voient la multiplication des initiatives mémorielles, et les résistantes elles-mêmes ont joué un rôle dans ce processus à partir des années 1980 et 1990.

Leurs témoignages émergent, notamment dans le cadre scolaire, accompagnés de l’injonction aux jeunes générations :

« Ne pas oublier. »

The Conversation

Marie Picard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.