A la déloyale
Le billet politique d’Elisabeth Lévy... L’article A la déloyale est apparu en premier sur Causeur.

La France, l’autre pays où l’opposition finit toujours au tribunal…
Il parait que la démocratie est en danger. Pas parce que la première opposante a été mise hors-course par une décision de justice, mais parce que d’aucuns (assez nombreux au demeurant) osent contester cette décision. Les magistrats seraient ainsi la seule corporation qu’il est interdit de critiquer – même les journalistes, quoi qu’ils en aient, ne peuvent exiger une telle immunité.
Ils ont osé. Contrairement aux prédictions de la plupart des commentateurs, les juges ont décidé que les agissements de Marine Le Pen étaient si graves qu’ils devaient l’empêcher de se présenter. Ça ne se passe pas en Turquie, en Algérie ou en Roumanie mais au pays des Droits de l’Homme. On me dit que chez nous, la Justice est indépendante et qu’elle applique le droit. Sauf que, le droit, ce n’est pas des maths. Thomas Legrand explique joliment dans Libération que cette décision n’est pas politique mais « procède d’une analyse politique ». Thomas Legrand nous prend pour des billes. On nous parle de justice égale pour tous. Il n’échappe à personne que la justice est d’une rigueur implacable avec Sarkozy, Fillon, Le Pen, et souvent compréhensive avec l’agresseur de flics. Ah oui, la fameuse exemplarité. Et c’est écrit où ça ? Si on veut des élus exemplaires il faut arrêter de répéter en boucle qu’ils doivent être comme nous.
C’est pour préserver la présomption d’innocence (qui n’est pas un colifichet) que l’appel est en principe suspensif. Sauf quand il y a risque de récidive ou de trouble à l’ordre public. Passons sur le risque de récidive que le tribunal, de façon grotesque, déduit du fait que le RN ne partage pas son appréciation quant à la gravité des faits qui lui sont reprochés. L’emploi d’un assistant parlementaire payé par le Parlement européen à des taches relevant du parti est évidemment une faute. On a le droit de penser que, sur le plan moral, c’est relativement véniel – le contribuable européen a d’autres sujets de mécontentement quant à l’usage que l’on fait de ses impôts. Mais le principal argument des juges, c’est que « la candidature d’une personne déjà condamnée en première instance serait un trouble à l’ordre public.» Amusant. Si la France est sacrément troublée ce matin, c’est parce que des juges privent les électeurs d’un choix crucial. Or, comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel, toute restriction à des libertés fondamentales doit être proportionnée.
La démocratie repose sur un subtil équilibre entre les pouvoirs. Quand le juge devient un arbitre électoral, le déséquilibre est vertigineux. Trois personnes changent l’avenir du pays et mobilisent le droit contre le peuple. Cela s’appelle un coup d’État judiciaire.
Certes, Marine Le Pen pouvait parfaitement perdre sa quatrième présidentielle. À la loyale. Elle n’en était pas moins la favorite et, a minima, le choix de millions de Français. Drapées dans le droit, les grandes consciences applaudissent les juges comme elles applaudissaient hier la fermeture de C8. C’est un message clair à cette France des bistrots et des clochers qu’on appelle « périphérique » alors qu’elle est le conservatoire de l’identité nationale. Cette France aime Marine Le Pen et TPMP : elle sera privée des deux.
Nous assistons à une nouvelle manifestation de la sécession des élites. Nous savons mieux que vous ce qui est bon pour vous, disent-elles aux électeurs. Ces déplorables à l’esprit étroit qui fument des clopes et roulent au diésel polluent les rues et les esprits. Hors de nos vues ! Si on voulait les convaincre qu’il y a un Système qui ne veut pas d’eux, on ne s’y prendrait pas autrement.
Reste une inconnue. Les « gueux » comme dit Alexandre Jardin, vont-ils s’énerver, revenir sur les ronds-points, plus ? Le plus probable est une contre-sécession sur le mode « tout ça ne nous concerne plus ».
Emmanuel Macron a sans doute gagné, il ne passera pas les clefs de l’Élysée à une Le Pen. Mais quel triomphe sans gloire. Quel que soit le prochain élu, les juges ont déjà sapé sa légitimité. Donc sa capacité à nous sortir de l’interminable marasme français.
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