Vivons-nous vraiment la fin de la mondialisation?

Souhaitant réindustrialiser son pays et mettre fin à la « Grande évasion », le président américain Donald Trump est accusé de bousculer l’économie mondiale en remettant en cause le libre-échange. Il a finalement décidé cette semaine d’uniformiser à 10% ses taxes douanières pour trois mois, mais il les augmente en revanche pour la Chine. Grande analyse... L’article Vivons-nous vraiment la fin de la mondialisation? est apparu en premier sur Causeur.

Avr 11, 2025 - 17:36
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Vivons-nous vraiment la fin de la mondialisation?

Souhaitant réindustrialiser son pays et mettre fin à la « Grande évasion », le président américain Donald Trump est accusé de bousculer l’économie mondiale en remettant en cause le libre-échange. Il a finalement décidé cette semaine d’uniformiser à 10% ses taxes douanières pour trois mois, mais il les augmente en revanche pour la Chine. Grande analyse.


X. Thery / IA.

Donald Trump a décidé du haut de l’imperium américain de mettre un terme à la mondialisation, ce phénomène économique débuté sous les auspices américains en 1945 lors de la création du GATT et largement amplifié à partir de 1972 et surtout dans les années 1980 par la financiarisation de l’économie avec Ronald Reagan. Il s’y est essayé tout du moins en érigeant des tarifs douaniers à plus de 20% en moyenne, les ramenant finalement au bout de quelques jours à 10% sauf pour la Chine qui se voit punie d’un taux de 125% pour avoir résisté aux remontrances trumpiennes. Ce mouvement de déconstruction est perçu par le monde entier, et même en interne par les grandes entreprises aux États-Unis, comme un défi lancé à la prospérité des économies nationales, comme si le libre-échange intégral était devenu la norme de pensée moderne. Il part pourtant d’un constat accablant pour les États-Unis et les prédécesseurs de Donald Trump : la première puissance mondiale est aussi le pays qui accuse le déficit commercial des biens de consommation le plus important du monde, plus de 1200 Mds $. Comment cette économie surpuissante a-t-elle pu en arriver là ? L’ambition de réindustrialisation de l’économie américaine est-elle si funeste ? Pour les Etats-Unis, mais aussi pour les économies occidentales, dont la France ? J’avoue qu’à priori je ne sais pas, mais avant d’apporter des réponses toutes faites à ces questions, en détestation de Trump tant le personnage est irritant, je souhaite m’interroger sur la Grande évasion industrielle qui a profondément touché nos économies et les conséquences qu’elle a eues sur notre cohésion sociale et notre prospérité.

La grande évasion aux Etats-Unis d’Amérique

Donald Trump est un voyou, il est brutal, il est grossier, il transgresse 80 années de pratiques diplomatiques policées, il nous impose ses diktats… C’est entendu. Mais n’en a-t-il pas toujours été ainsi sous la domination du monde par les Américains depuis 1945 ? Ils ont imposé le libre-échange et le GATT à tout l’Occident, puis ils ont mis un terme au système de change international de Bretton Woods en 1971, puis ils ont fait baisser le dollar unilatéralement lors des accords du Plaza en 1985… Le tout en échange d’une protection militaire dont on découvre aujourd’hui qu’elle était somme toute assez théorique (de Gaulle l’avait bien compris et signifié aux Américains en quittant l’Otan en 1966). Bref, ils nous ont toujours tout imposé. Poliment, mais durement et sans échappatoire possible. J’ai d’ailleurs toujours pensé que Donald Trump n’était qu’une figure paroxystique de la brutalité américaine. Un Américain « plus plus », un général Mc Arthur en costume cravate.

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Il faut se rappeler que les Etats-Unis ont connu leur décollage industriel à la fin du XIX° siècle en pratiquant un protectionnisme sévère avec un tarif douanier qui s’élevait à près de 40% jusqu’en 1920 où il retomba à 20% avant de remonter à 60% en 1932. Puis, à partir de  1947, les Américains nous ont imposé progressivement un système de libre-échange (les tarifs sont tombés à 12% en 1960, puis à 5% dans les années 80, et enfin à 2,5% en 2020, avant possiblement de se stabiliser à 10% si Trump maintient ses dernières dispositions) qui a dans un premier temps apporté un surcroît de prospérité aux économies occidentales. À commencer par celle des États-Unis. Ils possédaient les technologies majeures dans l’aéronautique (Boeing, Lockheed, Mc Donnell Douglas, Northrop, Général Dynamics, Hugues, Rockwell, Grumann), le spatial (la NASA et ses sous-traitants dans le domaines aéronautique), le nucléaire (Général Electric, Westinghouse), l’informatique (IBM, Sperry, Hewlett-Packard, Dec…), l’industrie de défense – la seule exception est l’automobile où ils ont toujours été nuls (Ford, General Motos et Chrysler ont certes inventé la production industrielle, le «fordisme », mais les performances intrinsèques de leurs voitures étaient très en arrière dans les années 60-70 et le sont toujours), ce qui provoque encore aujourd’hui leur rancœur vis-à-vis des Européens, notamment des Allemands, et des Japonais. Ils avaient aussi inventé les sociétés de conseil, les big four, chargées de diffuser le soft-power américain dans toutes les entreprises européennes (et de les espionner aussi dans le même temps, comme Mc Kinsey qui transmettait tous ses rapports à la CIA…). Nous en avons tiré parti et eux aussi, plus que tous autres.

Le retournement contre l’industrie américaine

Mais progressivement ce libre-échange s’est retourné contre les économies occidentales, à commencer par celle des États-Unis. Plus exactement contre le secteur industriel de leur économie. En 1970, la balance commerciale des biens de consommation des États-Unis  enregistrait un excédent de 2 Mds $. Durant cette année, les exportations américaines se sont élevées à 56 Mds $, tandis que les importations ont atteint 54 m Mds $. Les échanges étaient donc équilibrés. Pourtant en 2024, le déficit commercial des États-Unis a atteint un niveau record, avec un déficit des biens s’élevant à environ 1 200 Mds $.  En incluant les services, le déficit total était de 920 Mds $. Les exportations étaient au niveau de 3 190 Mds $, tandis que les importations ont atteint 4 110 Mds $. Ce déficit impressionnant représentait 3,1 % du produit intérieur brut (PIB) des États-Unis, ce qui explique en grande partie le déficit budgétaire (1800 Mds $, soit 6,2% du PIB) et la dette (125% du PIB) américains qui sont colossaux. 

Mais surtout, en 1970, l’industrie manufacturière représentait 27% du PIB des Etats-Unis contre seulement 12% en 2024. L’économie américaine est largement devenue une économie de services et la production de biens de consommation a été entièrement déléguée à des pays asiatiques dont l’économie a émergé endurant ces cinquante dernières années. La fringale de consommation américaine a été symétrique de ce qu’il faut bien qualifier de Grande évasion industrielle. La walmartisation  de l’économie est à l’œuvre : il s’agit d‘acheter toujours moins cher des produits à la qualité douteuse dans des super stores tels que Walmart au début et chez Amazon aujourd’hui. A mesure que les placards se remplissaient de produits plus ou moins utiles venus du Japon, puis de la Chine et enfin du Vietnam, les campagnes américaines perdaient presque toutes leurs usines et leurs emplois industriels (10 millions perdus de 1980 à nos jours).

Cette délocalisation ne touche pas seulement les produits à faible valeur ajoutée. Ce ne sont pas seulement les cigarettes électroniques ou les tee-shirts que les Asiatiques fabriquent désormais. Ce sont les ordinateurs et les smartphones (en Chine ou au Vietnam), les puces (TSMC à Taïwan) et même désormais les plateformes digitales (Deepseek qui concurrence ChatGPT). Je me souviens avoir acheté un MacIntsosh SE en 1987 pour la somme de 25 000 Francs (4000 €) environ. Cela représenterait sans doute 8000 € en 2025 en tenant compte de l’inflation. Aujourd’hui, un ordinateur comparable (mais beaucoup plus puissant) coûte environ 1000 €… Un prix de vente divisé par huit et un prix de revient certainement encore plus restreint. A l’époque, il faut se souvenir que Steve Jobs, avant qu’il ne soit écarté de l’entreprise qu’il avait fondée, était très fier de faire visiter son usine de Californie où les Macs étaient fabriqués par des robots. Mais même entièrement robotisée, une usine californienne ne pouvait résister à la logique de financiarisation de l’économie. Là où il était raisonnable auparavant d’attendre 10% de résultat d’exploitation d’une entreprise industrielle, c’est désormais les 20% qui font référence. Et les usines sont parties en Chine. C’est IBM qui a ouvert le bal tragique. La vénérable compagnie qui était devenue leader mondial des ordinateurs personnels décida finalement d’externaliser leur fabrication chez un façonnier chinois, Lenovo. Plusieurs années plus tard, ils se rendirent compte que ne maîtrisant pas le process industriel, ils perdaient la main sur la conception même du produit. Et ils finirent par vendre leur activité d’ordinateurs personnels, qui s’appellent désormais Lenovo et qui sont chinois. Apple a su, par une politique de haute valeur ajoutée, conserver la conception de ses produits, mais 90% des pièces composant un IPhone sont étrangères et assemblées en Chine. Sous l’effet des 104% de droits de douane imposés à la Chine, la gestion de la fabrication des IPhones vendus aux États-Unis par Apple est devenue un véritable casse-tête. On parle même d’une augmentation de 50 à 100% du prix de vente, selon les modalités de calcul des droits des composants qui entrent et qui sortent.

Un homme exhibe fièrement son nouvel iPhone 6 à la sortie du magasin Apple à Paris, octobre 2015. SIPA. AP21798835_000002

Les entreprises américaines sont impitoyables. Elles n’ont pour seul intérêt que celui de leurs actionnaires. Henri Ford, qui fut le premier à appliquer la doctrine tayloriste à l’industrie automobile avait ainsi lancé la fabrication de ses voitures en recourant intensivement à une main d’œuvre immigrée. Il mesura bien vite que c’était une impasse et pour vendre ses nouvelles Ford T, il comprit qu’il fallait « relocaliser » la main d’œuvre. Il décida en 1914 de multiplier le salaire horaire par deux pour que les ouvriers américains reviennent dans ses usines et qu’ils puissent grâce à leur salaire confortable devenir des acheteurs de Ford T.  Ce système de protection des employés de l’industrie a perduré jusqu’au tournant des années 80. La financiarisation de l’économie a amené à remplacer des ouvriers qualifiés américains payés 30 $ de l’heure par des ouvriers immigrés payés trois fois moins ou par des ouvriers délocalisés au Mexique payés moins de 5 $ de l’heure. La Dust bell est née là. Elle a ravagé tout le centre-est des États-Unis qui avait fait tout la prospérité de l’économie américaine. J.D. Vance, le vide-président de Donald Trump est né là et il a souffert de la misère imposée aux blue-collars blancs américains. Son Hillbilly elegy retrace le drame de la désindustrialisation appalachienne. Son influence est certainement déterminante sur la tentative de réindustrialisation entreprise par Donald Trump et qu’il comptera sans doute poursuivre s’il est élu président à sa suite dans trois ans.

La réindustrialisation américaine est-elle possible ?

C’est avant tout un choix politique. Il s’agit pour Donald Trump de conforter ses électeurs et ceux de Vance qui vivent depuis 40 ans dans le ressentiment vis-à-vis de l’économie mondialisée. L‘économie chinoise est en passe de doubler celle des États-Unis, elle l’a déjà doublée en ce qui concerne l’industrie. La Chine est devenue l’usine du monde. Elle construit ainsi deux nouvelles centrales électriques à charbon par semaine, Presque un réacteur nucléaire par mois, 10 usines de semi-conducteurs par an… Et 700 000 containers quittent chaque jour la Chine pour délivrer les biens de consommation achetés par les Américains et les Européens. Donald Trump a compris que cette situation n’était plus supportable car elle s’accompagne d’un développement corollaire de la puissance militaire chinoise : chaque année la Marine chinoise met à la mer environ 50 nouveaux navires de tonnage important (frégates, sous-marins, destroyers, et même porte-avions…). Les États-Unis ont dominé militairement le monde en échange du libre-échange qui les a conduits à se désindustrialiser. Les Chinois sont en train de construire leur puissance militaire en profitant de la désindustrialisation américaine. La Grande évasion est un jeu de pompe aspirante sur fond de domination militaire.

On ne sait pas où s’arrêtera l’Hubris de Trump en la matière. Il est subitement revenu en arrière en stabilisant les droits de douane à 10% pour la plupart des pays du monde (provisoirement pour 90 jours, mais cela risque de perdurer car la pression des oligarques américains et très forte pour l’y contraindre), mais il a entamé un bras de fer incroyable avec la Chine. Le taux imposé à celle-ci s’élève aujourd’hui (demain on ne sait pas) à 125%, ce qui revient à tuer toutes les importations chinoises aux Etats-Unis et à imposer aux entreprises américaines qui sous-traitent la fabrication de biens technologiques en Asie des contraintes dantesques. Car le modèle de la division internationale du travail s’est imposé comme principe d’efficacité. L’optimisation des coûts a été le corollaire nécessaire de la transformation des ouvriers européens et américains en consommateurs ou en chômeurs pour certains. Il sera très compliqué, voire impossible pour certains produits, de détricoter ce modèle. Les exemples donnés ces jours-ci sur l’intrication des composants de provenances très nombreuses sont très parlants. Un IPhone est la somme des dizaines de composants produits en Asie, même s’ils sont conçus aux États-Unis, un Boeing le gigantesque puzzle de milliers de composants venant du monde entier (et notamment d’Europe). Un vrai casse-tête pour ces géants industriels qui essaient même de comprendre l’impact des nouveaux tarifs sur leurs coûts de fabrication, car les pièces peuvent être taxées jusqu’à quatre fois en passant et repassant les frontières.

Un défi qui dépasse le clivage droite-gauche

La gauche, européenne en particulier, est totalement libre-échangiste au plan de la circulation des capitaux et des personnes. C’est elle qui fut un des plus ardents défenseurs des accords du GATT à la fin des années 90. Le libre-échangisme a été proposé par les Américains et  mis en œuvre par les sociaux-démocrates européens sous l’impulsion des socialistes français (notamment deloriens) qui comptent (qui comptaient jusqu’à l’élection de Trump) parmi les plus atlantistes des partis. Ce n’était pas à proprement parler un dévoiement idéologique, mais un prolongement de leur ADN internationaliste. Pour les mêmes raisons, ils sont devenus immigrationnistes, et même remplacistes, pour accompagner le grand mouvement de baisse des salaires dans l’industrie. Ce logiciel est en train d’évoluer au nom de l’écologie. La relocalisation de l’industrie leur semble aujourd’hui nécessaire pour des raisons environnementales, mais proposée par Donald Trump sous sa forme la plus brutale, elle leur apparaît comme insupportable en raison de son auteur et il est savoureux d’entendre des écologistes discourir à contre-emploi sur les bienfaits du libre-échange. Ils sont plus que jamais intellectuellement déroutés.

La droite, américaine et européenne, est devenue aussi totalement libre-échangiste après sa grande mutation au reaganisme et au thatchérisme au tournant des années 80. Elle ne l’a pas toujours été au cours du XXe siècle. Loin de là. Mais la financiarisation de l’économie qui a accompagné le libre-échangisme, si elle a ruiné les classes moyennes occidentales au profit des classes moyennes orientales, a parallèlement organisé des transferts gigantesques de richesse au profit des classes supérieures de la société. Les riches sont devenus de plus en plus riches et transnationaux. Ce sont eux qui sont aux leviers de commande de l’économie et ils n’ont aucune envie de freiner la désindustrialisation de leur pays qui leur a tant profité. De la même manière s’ils sont très embêtés par l’immigration qui remet en cause le cadre culturel de la société qui les a vus naître, ils sont dans les faits totalement immigrationnistes car les taux de 20% de résultat d’exploitation désormais attendus de l’industrie reposent entièrement sur le maintien d’une pression salariale impitoyable. Ils sont plus que jamais intellectuellement écartelés.

Et en France ?

L’Amérique trumpienne nous traite désormais en ennemi négligeable. Elle nous traitait auparavant en valet, mais elle y mettait les formes. Elle ne les y met désormais plus. Elle nous espionne, elle nous menace de représailles économiques, elle veut rompre notre alliance militaire, elle remet en cause notre État de droit et nos valeurs démocratiques. C’est brutal, mais ça a le mérite d’être clair et ça nous incite à ouvrir les yeux. Nos voisins allemands, en particulier, commencent à trouver la pilule de leur atlantisme indéfectible un peu amère. Il n’est pas jusqu’au Financial Times de titrer « de Gaulle avait raison ».

Mandatory Credit: Photo by Ludovic MARIN/UPI/Shutterstock (15166744f) US President Donald Trump and French President Emmanuel Macron shake hands in the Oval Office of the White House in Washington, DC, on Monday, February 24, 2025. French President Emmanuel MacronMeets with President Trump, Washington, District of Columbia, United States – 24 Feb 2025/shutterstock_editorial_French_President_Emmanuel_Macr_15166744f//2502242235

La droite « turbo » est en France très trumpienne. Elle fut dans le passé très protectionniste, mais pas vraiment patriotique. Elle fut pro-anglaise, pro-autrichienne, pro-russe, pro-anglaise à nouveau, pro-prussienne, lamentablement pro-allemande, elle finit très pro-américaine. Elle adore Trump parce qu’il a une grande gueule, qu’il l’ouvre à tort et à travers, alors qu’en France nous n’avons plus aucun leader pour exprimer quoi que ce soit. Elle est donc prête à avaler toutes ses couleuvres. Y compris des droits de douane à 25%… Ils sont retombés à 10%, elle respire un peu mieux. Mais est-elle devenue protectionniste pour autant ? Est-elle prête à appliquer une politique trumpienne en France ? La droite souverainiste (tendance Bellamy) y voit sans doute une opportunité, mais la droite bourgeoise n’y est sans doute pas prête, car après avoir renoncé à tout patriotisme économique, elle se rend compte qu’il n’y a plus rien à protéger. Tout a été bradé, éparpillé « façon puzzle », dissous dans la mondialisation

Souvenons-nous des campagnes françaises il y a encore 30 ans. Chaque bourg, chaque chef-lieu de canton avait qui sa tréfilerie, qui sa fabrique de meubles, qui son atelier de chaussettes, qui son haut-fourneau, qui son industrie mécanique, qui son usine pharmaceutique… Ce tissu dense de petites entreprises industrielles (certes trop petites et sous-capitalisées par rapport à l’Allemagne) procurait des emplois qualifiés à tous les Français. Que voit-on à leur place désormais ? Des magasins Ikea, des Leroy-Merlin, des Degriffstock, des entrepôts Action… Où l’on trouve tous les produits que nous ne fabriquons plus mais que nous consommons avidement.

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En 2023, le déficit commercial français s’élevait à 99 Mds €. Il est important de noter que la balance commerciale des services, notamment grâce au tourisme, a souvent été excédentaire, contribuant à compenser partiellement le déficit des biens. Toutefois, malgré ces excédents dans les services, la balance commerciale globale de la France reste déficitaire depuis le début des années 2000. Et pour cause, presque symétriquement à celle des États-Unis, mais en aggravant encore ses effets, la part de l’industrie manufacturière dans le PIB est passée de 22% en 1970 à 9,5% en 2024. En 1970 la France avait un solde commercial très légèrement excédentaire, presque à l’équilibre, comme aux États-Unis. Et depuis 1980, ce sont 2,5 millions d’emplois industriels qui ont été sacrifiés.

L’Allemagne et l’Italie ont perdu presque autant, en part relative, d’emplois industriels, mais ils en avaient plus au départ (37% du PIB en Allemagne et 30% en Italie, en 1970 – 20% et 15% aujourd’hui). Ils ont donc conservé leur avance industrielle ce qui leur permet, sans doute provisoirement, d’avoir un solde commercial positif (220 Mds € pour l’Allemagne, 55 Mds pour l’Italie en 2024). Mais il faut noter que comme pour la France et les Etats-Unis, ce solde commercial était en 1970 presque à l’équilibre. La mondialisation est passée par là et puisqu’il y a des excédents chez certains, il y a nécessairement des déficits chez les autres. Le décalage salarial et la faiblesse de la lire pour l’Italie, la trop forte valeur du Franc (l’effet Trichet-Beregovoy) sont passés par là au moment où se mettait en place l’Euro et que se figeaient les parités de change empêchant tout réajustement monétaire. Il faut à ce titre noter qu’en France, sur les 2,5 millions d’emplois industriels perdus depuis 1980, 2 millions l’ont été depuis 2002, date d’entrée en vigueur de l’Euro. Le Traité de Maastricht, l’Union Européenne ont été et restent farouchement libre-échangistes à l’intérieur, comme à l’extérieur… La France y a presque tout perdu.

Nous avons vu que nos campagnes furent couvertes de cheminées témoignant de notre passé « petit-industriel ». Mais comment oublier les grands centres industriels ou s’étalaient les fleurons de l’industrie mondiale ? Que sont devenus Alcatel (leader mondial des télécoms) – Alstom (leader mondial de l’électro-mécanique) – Essilor (leader mondial de l’optique) – Péchiney (leader mondial de l’aluminium) – Usinor-Sacilor (leader européen de l’acier) – Lafarge (leader mondial du ciment) – Sanofi (leader européen de la pharmacie)… Ils ont pour certains purement disparus, ou été absorbés (comme Peugeot-Citroën) dans des consortiums qui n’ont plus rien de français, leurs usines ont disparu avec eux selon le mot d’ordre lancé par Serge Tchuruk (patron de Total puis d’Alcatel) en 1995 « Il faut envisager que notre industrie se débarrasse de ses usines ». Elle s’est effectivement débarrassée de ses usines, puis la France s’est débarrassé de son industrie, puis la nomenklatura française s’est débarrassée de Serge Tchuruk (ce qui n’était pas le plus grave…). Car la turbo-droite qui n’aime rien tant que l’argent était prête à sacrifier un des siens en même temps que des usines qui sentaient la sueur et la graisse.

Ce ne sont pas seulement des usines qui ont disparu, mais les savoir-faire. On a vu ce qu’il en a été pour IBM avec Lenovo. Ces savoir-faire ne sont pas ou très difficilement relocalisables. Ils ont été dissous dans la mondialisation. Même les entreprises comme Framatome qui sont restées en France et qui ont cessé pendant 20 ans de produire des réacteurs nucléaires ont perdu l’essentiel de leur savoir-faire (d’où les difficultés énormes pour construire les EPR), alors on imagine très bien que celles qui n’ont plus rien conservé, comme Sanofi qui a quasiment tout sous-traité à l’Inde, sont aujourd’hui face à des difficultés quasi insurmontables pour relocaliser.

L’ambition de réindustrialisation trumpienne, sa volonté de lutter contre la Grande évasion manufacturière, est sans doute louable d’un point de vue américain. Et malgré la méthode brouillonne et aléatoire déployée par le président américain, il est possible qu’elle aboutisse à certains résultats économiques. Et il est encore plus probable qu’elle conforte son électorat qui est majoritaire. En France, au point où nous en sommes rendus, il ne reste pratiquement plus rien à protéger et une politique protectionniste qui ne reposerait que sur des barrières douanières n’aboutirait à aucun résultat concret hormis une inflation importante de nos biens de consommations. Il aurait fallu le faire il y a 30 ans, mais nous avons fait le contraire avec le marché unique et le traité de Maastricht.

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