Ultra moderne solitude
Bonne nouvelle : les époux Hackman, retrouvés sans vie aux États-Unis, n’ont finalement pas été victimes d’un meurtre, comme on avait pu le redouter. Pourtant, leur sort demeure tragique. Même les stars, autrefois entourées de luxe et de succès, ne sont pas à l’abri d’une solitude absolue. La disparition du célèbre acteur illustre avec une cruauté saisissante la brutalité de l’isolement dans notre monde moderne... L’article Ultra moderne solitude est apparu en premier sur Causeur.

Bonne nouvelle : les époux Hackman, retrouvés sans vie aux États-Unis, n’ont finalement pas été victimes d’un meurtre, comme on avait pu le redouter. Pourtant, leur sort demeure tragique. Même les stars, autrefois entourées de luxe et de succès, ne sont pas à l’abri d’une solitude absolue. La disparition du célèbre acteur illustre avec une cruauté saisissante la brutalité de l’isolement dans notre monde moderne.
Alain Souchon l’a chantée : « Pourquoi ces rivières / Soudain sur les joues qui coulent / Dans la fourmilière / C’est l’ultra moderne solitude. » Ces jours-ci, du côté de Santa Fé, USA, Etat du Nouveau Mexique, il semble bien qu’elle ait sévi.
Dans une immense et luxueuse villa des hauteurs de la ville, deux corps sont découverts le 26 février. Ceux du grand acteur Gene Hackman et de son épouse la pianiste Betsy Arakawa. Deux corps dans un état de décomposition avancé, comme il est dit pudiquement dans le rapport de police. Elle, l’épouse, serait morte depuis le 11 février, contaminée par un sale virus colporté par les excréments de souris, de rats dont – il faut bien le dire – on pourrait penser qu’on y serait davantage exposé dans les bas-fonds de la misère ordinaire que chez les stars. Lui, l’acteur et romancier, atteint d’une maladie d’Alzheimer elle aussi très avancée, serait mort sept jours plus tard, le 18 février. C’est du moins ce jour-là que son pace maker donne de lui un dernier signe de vie. Un de leurs trois chiens, réfugié dans un placard, passe lui aussi de vie à trépas dans ces moments-là. De faim ?
L’épouse est donc morte depuis quinze jours et le mari depuis une semaine entière lorsque, alertées par un employé, croit-on savoir, les autorités découvrent ce qu’il faut bien appeler un charnier.
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On imagine l’horreur des derniers jours, des dernières heures, des ultimes minutes, l’agonie d’épouvante qui traîne en longueur. Cette fin où l’un et l’autre, en fait, meurent comme crèvent les bêtes au fin fond des ravins et des forêts.
Ce qui glace d’effroi est justement l’évidente – et pourtant inimaginable – solitude de ce couple en ces derniers moments de vie. Personne. Personne ne s’est inquiété. Ni enfants, ni parents, ni proches. Oui, crever comme crèvent – hélas bien trop souvent ! – les très pauvres, les oubliés de l’humanité.
Dans les films, les stars et leurs villas fourmillent quasiment de gens, cuisinière, femmes de ménages, masseuses ou masseurs, jardiniers, gourous de ceci et de cela, piscinistes, livreurs, agents de sécurité nocturnes à grosses torches, partenaires de golf, de cocktails, de papotages, de garden party. Bref, des gens qui se succèdent presque sans discontinuer, ou qui appellent au téléphone, envoient des SMS, des mails et qui, donc, sont à même de donner l’alerte. Là, rien. Absolument rien. Aucune manifestation d’intérêt sur cette longue période de quinze jours. Comment cela est-il aujourd’hui possible ? C’est, selon moi, la violente, la glaçante question que posent ces décès, ces morts d’un temps où l’humain ne l’était pas encore tout à fait, humain.
De la camarde qui frappe, François de Malherbe, dans sa Consolation à M. Du Périer, écrit « La garde qui veille aux barrières du Louvre n’en défend pas les rois. » On vient de voir à Santa Fé que même le statut de star, les apparences de la fortune et du luxe, ne sauraient protéger de l’effroyable ultra moderne solitude lorsque s’avance le crépuscule de la vie. Et c’est proprement terrifiant…
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