Telle Salomé, Rima Hassan a obtenu la tête de Boualem Sansal

L'écrivain Boualem Sansal, détenu depuis novembre 2024 et souffrant d’un cancer a finalement été condamné jeudi à cinq ans de prison par la justice algérienne. Si la majorité de la classe politique française est outrée par cette sentence, certains élus d'extrême gauche sont plus conciliants avec Alger... L’article Telle Salomé, Rima Hassan a obtenu la tête de Boualem Sansal est apparu en premier sur Causeur.

Mar 29, 2025 - 19:47
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Telle Salomé, Rima Hassan a obtenu la tête de Boualem Sansal

L’écrivain Boualem Sansal, détenu depuis novembre 2024 et souffrant d’un cancer a finalement été condamné jeudi à cinq ans de prison par la justice algérienne. Si la majorité de la classe politique française est outrée par cette sentence, certains élus d’extrême gauche sont plus conciliants avec Alger.


L’historien est dans la position qui ne connaîtrait les faits que par le compte-rendu d’un garçon de laboratoire ignorant et peut-être menteur.

Charles Seignobos (La Méthode historique appliquée aux sciences morales)


C’est fait. Enfin, pour ainsi dire.

Rappelons d’abord qu’une certaine gauche, souvent plus que conciliante envers certains courants religieux qui prescrivent des exigences vestimentaires contraignantes à leurs adhérentes (au féminin), brillait par son absence lors de la manifestation de soutien à l’écrivain bien français, tenue à Paris deux jours auparavant.

L’éminente juriste internationale et internationaliste Hassan, qui s’était opposée à la motion votée au parlement européen demandant la libération du prisonnier d’opinion Boualem Sansal, est sûrement un peu déçue par la mansuétude laxiste du tribunal algérien : le parquet avait requis 10 ans d’emprisonnement contre son compatriote, il écope d’un petit quinquennat, au terme d’une procédure au cours de laquelle le ministère public, garant de la paix sociale, n’a pas été pénalisé par un excès de formalisme sur le plan des droits de la défense et de la publicité des débats; le « procès » proprement (si l’on ose dire) dit a quand même duré vingt longues minutes, et si l’accusé n’a finalement pas eu d’avocat pour le défendre, il faut admettre que le choix initial d’un conseil juif relevait de l’impudence.

L’égérie de l’Algérie n’a pas exprimé une quelconque réprobation du processus judiciaire qui a abouti à la relégation de l’écrivain à la version actualisée du « pavillon des cancéreux » vu les graves problèmes urologiques du condamné, il est même permis de conjecturer qu’elle a eu plus que sa tête, même sa peau, et que la défunte Margaret Thatcher a joué pour elle le rôle d’inspiratrice, quoique à contre-emploi : en effet, selon Jacques Chirac, à une certaine époque, la Première ministre convoitait une autre partie de son anatomie à poser sur un plateau.

La juridiction algérienne a donc assimilé la défense de la thèse, de nature historique, portant que l’Ouest-algérien aurait été arbitrairement retiré du Maroc et rattaché à l’Algérie par le colonisateur français, à une atteinte à la sûreté de l’État, à l’intégrité du territoire et à la stabilité des institutions.

L’eurodéputée Hassan est non seulement une critique littéraire hors pair, elle est aussi férue d’histoire.

Elle dénonce, à juste titre, les crimes commis de 1830 à 1962 par la France en Algérie. Fort bien.

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Lorsqu’il lui est rappelé que l’histoire postcoloniale de l’Algérie est riche en événements dramatiques pour sa propre population (régime politique à parti unique dès 1962 qui dure toujours; renversement et emprisonnement sans procès des opposants, comme Ben Bella, premier président de la République par le coup d’État de Boumediene en 1965; nombreuses éliminations avec extrême préjudice à l’étranger de figures historiques de la révolution devenus opposants au pouvoir, répression anti kabyle, hirak, etc.), elle réplique avec hauteur et passion que « la Mecque des révolutionnaires et de la liberté est et restera Alger » et que « ce pays est une boussole dans son histoire » puisqu’il a appuyé toutes les luttes anticoloniales.

En matière de liberté et d’État de droit en général, on trouve des modèles plus convaincants; il y a des boussoles qui perdent le nord.

Hassan défend, tout aussi légitimement, vu son impact sur la scène internationale (quoique de manière parfois contre-productive), la cause palestinienne. En ce qui concerne le conflit israélo-palestinien actuel, elle remonte la chaîne de causalité des événements, mais opte pour un arrêt brutal à la Nakba de 1948. Fort bien. Cependant, un débat sain, global, et surtout instruit à charge et à décharge, doit être mené avec l’assistance d’historiens, rompus à la méthode historique scientifique, missionnés comme témoins experts. Selon les bribes d’informations dont on dispose, aucun n’a été cité à la barre du tribunal algérien pour éclairer les juges algériens qui prennent (c’est le mot en l’occurrence) des vessies pour des lanternes. Mais rien pour troubler la sérénité historique zen d’une Rima Hassan.

(Incidemment, on aimerait demander à Mme Hassan si elle, contrairement à l’étudiant algérien lambda, a entendu parler de Messali Hadj, exclu du canon évangélique par les gardiens du temple révolutionnaire à titre d’apocryphe).

La classe politique française est unanime pour condamner cette atteinte à la liberté de parole commise par la « justice » algérienne, encore que la formulation adoptée par Mathilde Panot de La France insoumise soit plus sobre, plus pondérée.

Nul ne saurait lui reprocher l’hystérie.

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