Rencontre : les fascinantes œuvres textiles de Gaïa Pilens
L’univers créatif de Santa Gaïa Pilens s’inscrit sur un fond de culture populaire issu de la nuit des temps. Dans son atelier viennois aux airs de cabinet de curiosités, l’artiste compose des œuvres murales à partir de lin brut, en empruntant au tarot son langage symbolique.


De ses jeunes années passées dans l’ancien atelier du peintre Rūdolfs Pinnis et de sa femme, Elvira, sculptrice, à Riga, Gaïa se souvient des odeurs de peinture à l’huile et de bois, et de la présence de toiles, de céramiques et d’étagères ployant sous le poids de livres d’art. Un cadre de vie dont les contours ont profondément marqué son éveil au monde. “Avec tous ces éléments composant mon environnement, je n’avais d’autre choix que de m’en imprégner. Ils ont fait de moi l’artiste que je suis aujourd’hui”, confie-t-elle. Le studio où elle s’est posée, à Vienne en 2019, accueille quantité d’objets évocateurs de son rapport aux choses, tel un cabinet de curiosités ou plutôt une œuvre à part entière. Un work in progress où l’intimité tend à se confondre avec l’universalité. Après y avoir exploré l’héritage des Cyclades et ses silhouettes primitives, l’artiste a sondé le répertoire symbolique du tarot. L’exposition “Open Palm of Desire” dévoilait, à l’automne 2024, au salon Schwarzenbergplatz à Vienne, un travail à haute portée symbolique. “À cette occasion, mon atelier a été investi d’une série d’œuvres textiles inspirée des 22 archétypes du tarot. J’y ai disposé des éléments gravitant autour de celui-ci comme des jeux de cartes, des ouvrages spirituels, des parfums et des pièces de folk art. Cela a créé une atmosphère et favorisé un nouvel état d’esprit. Mon espace est une extension de chacune de mes séries, une partie vibrante de mon travail”, appuie Gaïa.
Sensible aux qualités tactiles du lin brut, l’artiste s’est appliquée à l’apprivoiser pour des œuvres murales conçues avec de la gomme-laque — aussi appelée shellac — à la suite d’une manipulation malencontreuse dans son atelier. “Alors que j’appliquais du shellac sur une peinture à l’huile, j’en ai renversé sur un coin en lin. Lorsque je l’ai vu durcir, j’ai immédiatement su que j’avais trouvé un élément fondamental à ma pratique”, raconte-t-elle. Il s’en est suivi un ballet d’essais avec des collages et différents types de lin et tons de shellac sur des cadres en bois provenant d’anciens toits autrichiens. Les paysages traversés de reliefs qui ont fait leur apparition au fil des jours ont mené à un jeu de superpositions de formes tels d’anciens bas-reliefs qui auraient transcendé le temps avec pertinence et élégance. L’artiste a donné à cette nouvelle technique le nom de “momies contemporaines”, en référence au lin utilisé dans les rituels funéraires de l’Égypte antique. “Cette série tourne autour de la transformation, plus précisément de l’art d’occulter un objet tout en révélant son essence. Un processus qui interpelle l’imagination. Chaque œuvre de l’exposition porte en elle une énergie spirituelle puisant sa source dans l’inconscient collectif. En somme, ce que l’art m’autorise : une compréhension intuitive grâce à des formes, des couleurs et un message clairs.” Avec leur simplicité formelle et chromatique, ses œuvres de plus grande envergure font aussi écho à l’art rupestre. “Cette forme d’art, purement intuitive, me fascine. Tout ce qui importait, à l’époque, était de saisir les aspects premiers de l’existence humaine. Cette approche a traversé le temps en beauté, car elle est universelle.”
Dans sa pratique artistique comme dans la vie, Gaïa cultive une pleine présence au monde. Elle documente celui-ci au moyen de photos et approche les lieux, les époques et les cultures avec curiosité. La terre devrait servir d’amorce à ses prochaines œuvres murales pour lesquelles elle entrevoit de très grands formats. Les couleurs naturelles de celles-ci se retrouvent déjà sur la palette de l’artiste. Elle a retenu pour sa dernière série un ocre lumineux. “Je travaille avec des teintes terreuses, car la nature est tout en harmonie. Dans ce monde bruyant et saturé de couleurs, mes textiles muraux, où l’ombre et la lumière font partie intégrante de l’œuvre, offrent une expérience méditative. Je suis attirée par un art qui n’impose pas sa présence, mais, au contraire, invite au calme et à la réflexion”, confie celle qui songe aujourd’hui à défier le sable.
