Pour en finir avec le « e féminisant »
Lassé de trouver dans la presse — et souvent dans des livres — ces barbarismes affreux que sont « auteure », « professeure » ou « docteure », notre chroniqueur a entrepris d’expliquer une fois pour toutes ce que sont les règles de féminisation des noms. Et quelles sont les sources de tant de formes inappropriées, imposées par des rédactions wokistes ou apeurées à des lecteurs qui méritent mieux... L’article Pour en finir avec le « e féminisant » est apparu en premier sur Causeur.

Lassé de trouver dans la presse — et souvent dans des livres — ces barbarismes affreux que sont « auteure », « professeure » ou « docteure », notre chroniqueur a entrepris d’expliquer une fois pour toutes ce que sont les règles de féminisation des noms. Et quelles sont les sources de tant de formes inappropriées, imposées par des rédactions wokistes ou apeurées à des lecteurs qui méritent mieux.
Donc, « petit » => « petite ». Parfait. Nous avons tous appris il y a lurette la formation des adjectifs au féminin, par adjonction d’un -e, précédé parfois d’une variable combinatoire : moteur => motrice.
À noter qu’il existe aussi des faux-amis cocasses. Ainsi, « salope » n’est pas le féminin de « salaud ». Un féminin « salaude » a existé — Apollinaire l’emploie dans Les Onze mille verges —, mais il a été supplanté par cette « salope » issue du croisement de « sale » et de « hoppe », forme dialectale de « huppe », cet oiseau ayant la réputation d’être très sale… Par dérivation, on trouve parfois le masculin « salop » — chez Flaubert, par exemple.
Pourquoi le -e féminise-t-il l’adjectif ? Parce qu’il est issu d’un -a latin, marque du féminin dans nombre d’adjectifs — cf. bonus, bona, bonum. L’accusatif bonum a donné la forme masculine, et bona(m) a induit le féminin correspondant.
Le féminin, et non le femelle. Il faut être aussi inculte qu’Eliane Viennot, professeur émérite des ânes et de Clermont-Ferrand, pour confondre les deux. Ou alors il faut admettre que verge et bite, deux termes indiscutablement féminins du point de vue de la grammaire, sont femelles par essentialisation.
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C’est le même genre d’erreur, entre homo (l’être humain) et vir (l’homme par opposition à la femme) qui a conduit Olympe de Gouges à l’échafaud, après la parution de ses Droits de la femme et de la citoyenne. On ne plaisantait pas avec les contresens, à l’époque.
En s’appuyant sur cette tradition lexicale, des imbéciles qui ont trouvé leur Bac dans une pochette-surprise commercialisée par Lionel Jospin, Philippe Meirieu et Najat Vallaud-Belkacem, phares de la pensée moderne, ont stipulé qu’il suffisait d’ajouter un -e à des mots épicènes pour les « féminiser » — au sens sexualisé cette fois. « Professeur » / « professeure » — ce que j’appelle la finale marseillaise : « Tu fais quoi dans la vie » « Je suis professeureu, con ! »
Quitte — vous dire s’ils sont bêtes — à remplacer des mots implantés depuis des lustres par ces aberrations lexicales. « Docteure » tend ainsi à remplacer le très français « doctoresse ».
Quelques demi-habiles prétendent que de telles féminisations avaient cours au Moyen-Âge. Mais quel Moyen-Âge ? Quelle langue ? Le picard d’Adam de la Halle ? La norme anglo-normande de Marie de France ? Le francilien mâtiné de dialecte champenois de Chrétien de Troyes ? Ces demi-habiles savent-ils qu’au Moyen-Âge, l’adjectif au féminin ne prenait pas forcément de -e — d’où grand-mère…
Le français a commencé à se fixer au XVIe siècle, et a été réglementé au XVIIe. Depuis, les modifications (les imparfaits en -oi — passés à la graphie -ai-, correspondant à la prononciation parisienne) furent à peine des ravalements de façade.
Sans compter qu’il y a des règles intangibles, et aucune pseudo-« modernité » ne peut durablement heurter les principes linguistiques issus du génie d’une langue. Les noms de métiers se féminisent aisément, le « marchand » s’accouple avec la « marchande » et le « docteur » avec la « doctoresse » — fort bien.
Mais les titres sont par nature épicènes (ils n’ont ni masculin, ni féminin). Un « maître de conférence » n’est pas une « maîtresse ». Je n’en veux pour preuve que le « Maître » des cours de justice, qui, malgré l’extrême féminisation des professions judiciaires, est resté inchangé, quel que soit le sexe du juriste. Si vous appelez « maîtresse » votre avocate (qui n’est pas un titre mais une fonction), comment la distinguerez-vous de celle avec qui vous jouez à la bête à deux dos ?
C’est ce qui fait qu’une péripatéticienne n’est pas exactement le pendant femelle d’un philosophe péripatéticien…
Dans Le Gendarme se marie, ineffable pellicule due à Jean Girault (1968), l’adjudant Gerber (joué par Michel Galabru), qui connaît la langue et le règlement sur le bout des doigts, donne du « madame la colonelle » à Claude Gensac, veuve d’un colonel de gendarmerie de Normandie. Une « colonelle » est, en français, l’épouse d’un colonel. Et Brigitte Macron doit être appelée « Madame la Présidente » en tant qu’épouse d’un Président. Si par aventure elle remplaçait son époux dans ses fonctions suprêmes, on devrait l’appeler « Madame le Président ».
C’est pour cette raison que dans Les Liaisons dangereuses, Madame de Tourvel est « la divine Présidente », parce qu’elle est la femme d’un Président de Parlement régional, futur cocu de l’histoire. Et pas parce qu’elle préside quoi que ce soit.
Ainsi, Anne Hidalgo est maire de Paris. On peut la désigner du doux vocable de « mairesse », autrefois utilisé pour désigner l’épouse d’un maire, mais qui a été utilisé pour désigner la fonction dans les années 1960. Evitez de dire « la maire », cela nous amènerait à des combinaisons inextricables où un frère et une sœur seraient issus de la même mère et de la même paire, mais pas forcément, s’ils se mariaient un jour, de la même maire.
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Quand la langue a forgé un féminin, autant l’utiliser. « Autrice » est préféré par l’Académie et par les Québécois, selon la féminisation des noms masculins en -teur (acteur / actrice) — et parce que la forme existe en latin (auctricem). Mais certainement pas « auteure ».
L’adjonction de ce -e n’existe d’ailleurs que pour les yeux, il ne peut être entendu, sauf sur la Canebière, puisqu’il est dit « muet ». C’est le même principe qui signe a priori la mort de l’écriture « inclusive », fort employée dans les universités, qui n’hésitent pas à s’adresser aux « étudiant·e·s » sans se soucier de la façon dont on pourrait (on ne peut pas) lire cet hippogriffe lexical à voix haute.
Ce qui nous amène à la cause profonde de ces féminisations absurdes.
Vous vous rappelez sans doute avoir appris qu’il existe en français des rimes féminines (qui se terminent par un -e muet), et des rimes masculines — toutes les autres. Rien à voir avec la « féminité » de ce qu’évoque le mot : « vagin » est masculin selon les règles de prosodie, et « couille » est féminin. S’il y a quelqu’un que cela gêne, c’est qu’il n’a pas dépassé le niveau du ricanement bête que l’on entend parfois dans les petites classes et chez les demeurés.
Je crains que les crétins qui féminisent des mots qui ne leur ont rien fait, sous prétexte de « désinvisibiliser » les femmes, se trompent de combat. Les hommes qui pratiquent des accouchements ne ronchonnent pas si on les appelle « sages-femmes », le mot étant depuis longtemps senti comme concaténé.
Et les marins-pompiers supportent-ils dans leurs rangs des « marines-pompières » ?
« Le maître de la langue, c’est l’usage », disait Vaugelas. L’usage général, celui de la majorité — pas celui des petits-maîtres de la presse de gauche. Après une légère hésitation, Le Figaro est revenu à un usage classique de la langue, et les autres y viendront : il suffira pour cela que quelques patrons un peu chatouilleux sur l’expression leur expliquent de quel côté souffle le vent de leur intérêt. On laissera alors Mediapart persister à écrire « professeure », ce qui participera de sa déconsidération générale.
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