Paris, théâtre d’une Europe hésitante face au désengagement américain

Face au mépris américain et à la menace d’un « Yalta 2.0 » entre Trump et Poutine, l’Europe hésite encore à s'affirmer, prisonnière de ses divisions internes. Pendant ce temps, ira-t-on à Washington jusqu'à chercher à imposer une paix qui pourrait se faire au détriment de l’Ukraine, et aux frais du vieux continent? Une réunion d'urgence de dirigeants européens s’est tenue hier après-midi à l’Elysée... L’article Paris, théâtre d’une Europe hésitante face au désengagement américain est apparu en premier sur Causeur.

Fév 18, 2025 - 08:28
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Paris, théâtre d’une Europe hésitante face au désengagement américain

Face au mépris américain et à la menace d’un « Yalta 2.0 » entre Trump et Poutine, l’Europe hésite encore à s’affirmer, prisonnière de ses divisions internes. Pendant ce temps, ira-t-on à Washington jusqu’à chercher à imposer une paix qui pourrait se faire au détriment de l’Ukraine, et aux frais du vieux continent? Une réunion d’urgence de dirigeants européens s’est tenue hier après-midi à l’Elysée


L’Europe menacée d’un deuxième Yalta par MM. Trump et Poutine

Il est peu dire que les diverses déclarations de l’administration Trump au sujet de la guerre d’Ukraine n’auront pas laissé indifférents les observateurs européens. Véritable rouleau-compresseur lancé à toute allure, le nouvel exécutif américain multiplie les marques d’hostilité à l’égard de ses alliés traditionnels, menaçant même les fondements du partenariat transatlantique tel que nous le concevons depuis plusieurs décennies.

Sûrement désireux de plaire à son public, Donald Trump a ainsi démarré sur les chapeaux de roue son mandat en indiquant être prêt à faire du Canada son 51ème Etat, en affirmant qu’il entendait éventuellement annexer le Groenland au nez et à la barbe de Copenhague, ou encore en faisant part de son envie de transformer le territoire de Gaza en « Riviera » après que ses habitants palestiniens n’en partent du fait des bombardements ayant rendu la zone inhabitable.

Pour l’heure, ces propos toujours plus excessifs n’ont pas été concrétisés par des actes et l’administration Trump occupe le terrain médiatique par une agitation frénétique qui donne le tournis. Il faut néanmoins se préparer à une tempête. Le sujet le plus important pour nous est celui de la défense collective et des suites de la guerre d’Ukraine. L’orientation donnée par Washington est désormais de plus en plus précise.

L’idée maîtresse de ce plan, comme certains le craignaient en notant les tendances en la matière au sein du camp « Maga », étant d’obtenir à tout prix « une paix », peu importe comment et peu importe laquelle. Pour ce faire, Donald Trump et les siens souhaitent évincer l’Europe de la table des négociations afin d’installer un dialogue direct avec Moscou. L’Ukraine n’est d’ailleurs guère mieux traitée, les Américains ayant dans un premier temps laissé entendre qu’ils pourraient même ne pas convier Kiev aux négociations de paix concernant leur propre pays… Ainsi, une personnalité comme Christoph Waltz a dit sur Fox News Sunday que si les « Ukrainiens avaient combattu vaillamment, ils ne seront pas invités aux négociations » car le « président Trump veut mettre un terme à cette guerre ».

L’Europe méprisée

Ouvertement méprisée, l’Europe a fait l’objet des critiques les plus virulentes des proches de Donald Trump. A commencer par son vice-président JD Vance qui a affirmé que le principal ennemi de l’Europe était elle-même et non « la Chine ou la Russie » dans un discours donné à la conférence de sécurité de Munich. JD Vance n’a pas évoqué la guerre d’Ukraine, se contentant de parler de l’immigration en Europe et des problèmes de démocratie : « De la même manière que l’administration Biden a semblé prête à tout pour faire taire ceux qui exprimaient librement leurs opinions, l’administration Trump va faire précisément l’inverse, et j’espère que nous pourrons travailler en ce sens. Il y a un nouveau shérif à Washington. Et sous la direction de Donald Trump, même si nous pouvons être en désaccord avec vos opinions, nous nous battrons pour défendre votre droit de les exprimer sur la place publique. »

Si l’ensemble du discours n’était pas dénué de nombreuses vérités, il consistait aussi en une diversion et une récréation proposées par la Maison-Blanche pour éviter d’aborder de nombreux sujets fâcheux. Que l’Europe ait un problème d’immigration, personne ne le niera. Que certains de ses Etats membres soient névrosés par la correction politique, personne ne pourra non plus le contester. Plus encore, l’Europe souffre d’être une machine molle, un objet politique peu consistant qui ne parle pas à l’unisson et ne dispose pas d’un « hard power » suffisant pour s’opposer à l’Amérique qui tient en état de dépendance militaire un grand nombre des Etats qui la composent. Cela, JD Vance et son complexe du sauveur typiquement américain ne l’ont pas rappelé.

Ces multiples travers nous affaiblissent à l’intérieur comme à l’extérieur. Depuis 1989, nous avons collectivement embrassé, à l’exception notable de la France, l’idée que « l’histoire était finie » et que plus jamais le monde ne pourrait sombrer dans la guerre. Que notre droit était une construction parfaite qui ne serait jamais contestée, oubliant que la force est une nécessité pour qui veut éviter la violence. Il y a 30 ans, les armées des pays européens pouvaient mobiliser plus de 3 millions de soldats d’active, alors qu’aujourd’hui nous ne pourrions plus en réunir théoriquement qu’un plus de 1,3 million. Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres d’un continent qui s’est abandonné à la régulation et à la bureaucratie, une administration aussi lente que méconnue, profondément déconnectée des peuples.

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Pourtant, tous ses problèmes nous regardent et ne doivent pas masquer le jeu américain, aussi pernicieux que brutal. Quel est-il ? L’idée de l’administration américaine est de discuter directement avec la Russie sans nous convier, de nous contraindre à accepter le futur accord, quand bien même serait-il inacceptable, et en plus de ça de nous faire payer la facture. L’Amérique veut un deuxième Yalta, nous casser pour mieux nous dominer.

Nous sommes face à des Etats-Unis qui prolongent leur vocation hégémonique en y ajoutant une rhétorique ouvertement impérialiste. Pire que ça, en mentant pour y parvenir. Ainsi, les très nombreux influenceurs du nouveau régime ne cessent de réclamer que l’Europe leur « rende leur argent » et que nous augmentions drastiquement nos dépenses militaires. Ils ont raison sur le deuxième point, mais leur idée est que ce renchérissement soit corrélé à des achats d’armes américaines. On entend aussi parfois chez eux que seule l’Amérique a contribué à l’aide à l’Ukraine. En somme, ils expliquent toute honte bue qu’ils ne veulent aider en aucune manière l’Europe militairement tout en exigeant qu’elle achète des armes américaines qu’ils pourront suspendre quand ils le souhaitent. Ils nous veulent soumis sans rien donner.

Outre les injures anti-françaises d’un Jack Posobiec, convié avec la délégation américaine, les Américains omettent de préciser que l’Europe a beaucoup donné depuis le début du conflit. Et, à dire vrai, plus que l’Amérique. Le total de l’aide allouée par les Européens s’élève à 132.3 milliards contre 114.2 pour les Etats-Unis, il reste encore 115 milliards d’aides européennes programmées à livrer contre 4.8 pour Washington au moment où ces lignes s’écrivent. Pis encore, sur le plan strictement militaire, l’Europe a aussi donné plus de matériels importants selon Anton Geranshchenko. Des chiffres d’ailleurs impressionnants : 887 tanks européens contre 76 par les USA, 51 avions plus 85 à venir contre aucun, 73 hélicoptères contre 21, etc.

Pourtant, ce sont biens les Etats-Unis cyniques de l’administration Trump qui essayent de racketter l’Ukraine en demandant le « retour de leur investissement ». JD Vance a même essayé de faire signer, entre quatre murs, un accord ignoble à Zelensky lui réclamant « l’exploitation des terres rares » sans aucune contrepartie.

Une tentative de colonisation

De fait, la « paix » que veut obtenir Trump, dans l’unique et pathétique but de se faire décerner le même Nobel que son prédécesseur Obama, consiste en une sanction contre l’Ukraine presque plus dure que ce que l’Allemagne avait subi en 1945 alors même qu’elle est la victime ! Il demande ainsi 500 milliards de dollars de « payback » ainsi que le contrôle total des exploitations de minérais. Il veut aussi contrôler les ports et les infrastructures énergétiques. Un accord qui serait soumis à… la législation de l’Etat de New York !

Interrogé, le président américain a dit que l’Ukraine « pourrait faire ou ne pas faire le deal, mais pourrait aussi devenir russe un jour ». Bref, il s’agit d’un chantage quasiment mafieux. M. Zelensky a d’ailleurs refusé de s’y soumettre et a déclaré que l’Ukraine n’accepterait aucun accord sans son consentement. C’est bien naturel. Il a même indiqué, plus volontaire encore, qu’il ne participerait pas à cette parodie de discussions en Arabie saoudite, même si on le lui demandait. C’est une preuve de courage assez exceptionnelle, il faut le dire.

De l’autre côté, Elon Musk a flatté Lavrov dans un tweet. Commentant sa descente d’avion en Arabie, il a déclaré que c’était à ça que « ressemblait un leadership compétent ». Face à cette fuite en avant américaine, où chaque jour ajoute une outrance, la dernière en date étant le coup de pression mis à la Roumanie pour la délivrance des proxénètes britanniques de la fratrie Tate, l’Europe semble encore tétanisée.

À Paris, les principaux dirigeants du continent n’ont pas su se mettre réellement d’accord. Une petite dizaine de pays a déclaré être prête à envoyer des soldats de maintien de la paix après la conclusion d’un accord. Parmi eux, la France, l’Italie, la Grande-Bretagne, le Benelux ou encore la Suède. La belle affaire ! Il s’agit là d’une exigence américaine, pays qui veut trouver un accord de « paix » injuste et nous faire payer la facture par-dessus le marché. Les réponses doivent être beaucoup plus fermes. Investir dans la défense est une bonne chose, mais les moyens mis en œuvre sont encore beaucoup trop faibles.

Soyons lucides : l’OTAN est morte à l’heure où nous parlons. Les Américains l’ont plus ou moins fait savoir puisqu’ils comptent désengager leurs soldats présents en Lituanie, pays menacé par la machine post-soviétique. Ce qu’ils veulent, au fond, c’est vendre l’Europe à la Russie en échange d’une « alliance » contre la Chine. Une idée aussi idiote que dangereuse. Ils nous méprisent parce que nous ne sommes pas assez forts. Plus vicieux encore, ils veulent nous laisser tomber tout en nous forçant à leur acheter leurs armes et en nous livrant une guerre commerciale destructrice pour ce qu’il nous reste d’industrie.

Sur X / Twitter, les militants MAGA insultent quotidiennement l’Union européenne. Nos alliés « don’t do shit for us », disent-ils. Ils ont oublié que l’unique fois où l’article 5 de l’OTAN fut évoqué… ce fut pour les aider après le 11-Septembre. La France était encore aux côtés des Etats-Unis en 2018 pour bombarder les usines chimiques d’Assad. Nous n’avons refusé qu’une fois de les aider, au moment de la guerre d’Irak qu’ils ont déclenché sur de fausses accusations. C’est depuis lors que le triste mythe des « surrender monkeys » s’est répandu…

Le vieux continent doit enfin s’émanciper

Ne soyons pas Mélos face à Athènes ou le Sud Vietnam abandonné. Ne nous faisons pas avoir comme lors de la crise de Suez ou en 1938 à Munich. L’Europe doit être forte. Oui, nos dirigeants sont médiocres. Nous le savons. Mais il faut parer à l’urgence. Dans cette configuration, la France peut s’affirmer en leader naturel. Nous avons des atouts et des responsabilités différentes du fait de notre puissance nucléaire, de notre siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU, de nos outremers, de notre industrie militaire pleinement indépendante et bien sûr de notre histoire millénaire.

Nous devons, dans ce contexte de guerre froide, devenir la première armée d’Europe et la base de la défense commune. Cela sera aussi une opportunité économique immense. L’est ne peut pas être abandonné et nous ne pouvons plus compter l’Amérique comme étant un partenaire fiable avec certitude. Donnons-nous les moyens de notre sécurité.

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