Lyrique: «Amour tyrannique, cesse ta cruauté!»

« L’isola disabitata » de Joseph Haydn, à l’Opéra-Bastille... L’article Lyrique: «Amour tyrannique, cesse ta cruauté!» est apparu en premier sur Causeur.

Mar 15, 2025 - 10:19
 0
Lyrique: «Amour tyrannique, cesse ta cruauté!»

Terrée dans les sous-sols peu avenants de l’Opéra-Bastille, la petite salle en rotonde de l’Amphithéâtre Olivier Messiaen est en placement libre. Au seuil de la représentation, les spectateurs demeurent rivés à leurs smartphones, la plupart d’entre eux curieusement indifférents au beau danseur brun (Nicolas Fayol, formé au breakdance) qui, sa flexible nudité enveloppée d’un simple caleçon couleur chair, le chef coiffé de petites cornes animales, bondit telle la biche sur le massif rocher central, ou arpente à quatre pattes le sol charbonneux du plateau, sur fond de pépiements d’oiseaux.

Opéra en format poche

Prélude à L’isola disabitata (L’île déserte), « azione teatrale » chantée en italien, comme il se doit, courte partition (moins d’une heure et demi) composée en 1779 par Joseph Haydn, sur un livret de Métastase, déjà maintes fois exploité alors par le genre lyrique. Un opéra en format de poche, en quelque sorte. À main gauche de la salle s’installe, en gradins, la petite formation de l’orchestre Ostinato, dirigé par le maestro hispano-américain François Lopez-Ferrer (lauréat du prix Sir Georg Solti en 2024). Pour les parties chantées alternent, selon les représentations, plusieurs artistes en résidence à l’Académie maison. Pas de chœur dans cette œuvre qui ne mobilise que deux mezzo ou soprano pour les voix de femmes, un ténor et un baryton pour les rôles masculins.

A lire aussi: Peer Gynt, une formidable aventure

L’intrigue se résume à presque rien. Constanza et sa petite sœur Silvia, pris dans une tempête, échouent sur une île déserte. Capturé par des pirates, Gernando, l’époux de Constanza, a pu s’échapper avec son ami Enrico. Treize ans ont passé. Les deux garçons débarquent sur l’île où Constanza, se croyant trompée et abandonnée, a transmis à la virginale Silvia sa défiance vis-à-vis de la gent masculine. Mais les sens de la candide Silvia s’éveillent irrésistiblement au contact d’Enrico. Par chance, tous ces fâcheux malentendus finiront par se voir levés et, dans un réjouissant quatuor final, les deux couples hissent les voiles pour convoler en justes noces.

Intelligent et raffiné

Au départ danseur du Corps de ballet de l’Opéra de Paris, puis metteur en scène en résidence à l’Opéra de Paris, Simon Valastro signe ici une nouvelle production : intelligente, discrète et raffinée. Selon sa position dans l’espace scénique, le rocher pivotant se transforme en refuge voire, au dénouement, en proue du navire où, sur fond d’écume figurée par une fumée blanchâtre à ras de sol, une voile bleue victorieusement levée, embarqueront Costanza et Gernando, Silvia et Enrico, rescapés voguant désormais vers le bonheur conjugal.

La même sobriété allusive s’attache aux costumes imaginés par Angelina Uliashova pour ces quatre rôles : ils se déplacent, pieds nus, dans la lumière changeante du huis-clos insulaire, vêtus d’étoffes blanches ou beiges qui les caractérisent chacun – nuisette immaculée pour la candide adolescente Silvia, robe à traîne pour l’âpre Costanza, par exemple… Laquelle finira par avouer à sa cadette :  « Les hommes ne sont pas, comme je te le disais, inhumains et infidèles ». Par les temps qui courent, en 2025, la leçon est bonne à prendre.

Au soir de la première, une ovation nourrie s’adressait tout autant à la remarquable performance de l’orchestre qu’aux quatre interprètes en piste ce 11 mars –  mezzo Amandine Portelli (Costanza), ténor Liang Wei (Gernando), baryton Clemens Frank (Enrico), soprano américaine Isobel Anthony (Silvia). A cette dernière, surtout, vont mes suffrages personnels, si je puis me permettre : vibrato serré d’une grande expressivité, subtilité, douceur de l’émission vocale, articulation parfaite dans les vocalises, jeu d’une vitalité, d’une sincérité touchantes.  


L’isola disabitata, de Joseph Haydn. Direction : François Lopez-Ferrer. Mise en scène : Simon Valastro. Orchestre Ostinato. Artistes en résidence à l’Académie de l’Opéra national de Paris.
Durée : 1h30
Opéra Bastille, amphithéâtre Olivier Messiaen, les 14, 15, 18 et 21 mars à 20h.

L’article Lyrique: «Amour tyrannique, cesse ta cruauté!» est apparu en premier sur Causeur.