L’Union européenne et la recherche « scientifique »

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Avr 29, 2025 - 17:46
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L’Union européenne et la recherche « scientifique »

10 millions d’euros pour un « Coran européen » ? Le projet scientifique interpelle et fait polémique.


Toute science vient de Dieu.
Origène


Au commencement fut la philosophie : une démarche qui vise à la compréhension du monde et de la vie par une réflexion rationnelle et critique. Même si les médiévaux européens utilisaient souvent encore le mot « scientia » comme synonyme de philosophie, on conviendra que, dans l’usage moderne, ce terme vise surtout les connaissances relatives à la nature (physique, chimie, biologie…), les sciences « dures », même si, parfois, on parle de « sciences humaines », « science historique », etc., afin de mettre en relief une méthode d’étude cohérente de ces domaines.

Or, la mission de la European Research Council/Conseil européen de la recherche (ERC) consiste à financer « des projets de recherche exploratoire, aux frontières de la connaissance, dans tous les domaines de la science et de la technologie ». Le seul critère de sélection est celui de l’« excellence scientifique ». À supposer qu’il y eût flou quant au champ d’application du mot « science » en l’espèce, sa juxtaposition avec la technologie signifie qu’il s’agit plutôt de science « dure ». Et en effet, on fait état sur son site de projets relatifs à la biodiversité en cette période de changement climatique, de recherche fondamentale en matière de mécanismes biologiques et de pathologies humaines, sans oublier l’agriculture, la biotechnologie et la médecine, etc. De toute manière, dans un monde de rareté, les priorités en matière d’allocation judicieuse des ressources sont évidentes.

Réécriture de l’histoire

C’est donc avec un certain étonnement que l’on apprend par le Journal du dimanche (JDD) que, en 2018, l’ERC a accordé, au titre de l’ « excellence scientifique » une petite enveloppe de presque 10 millions d’euros au projet « EuQu » (pour « Coran européen »)  d’une durée de six ans1. Sauf erreur, cette bourse « Synergy » ne fit pas l’objet d’une publicité triomphale et tapageuse lorsqu’elle fut décernée. Il s’agit d’expliquer comment le Coran a influencé la culture et la religion en Europe, entre 1150 et 1850. « Ce projet repose sur la conviction que le Coran a joué un rôle important dans la formation de la diversité et de l’identité religieuses européennes médiévales et modernes et continue de le faire » (…) EuQu cherche à remettre en question à la fois les perceptions traditionnelles du texte coranique et des idées bien établies sur les identités religieuses et culturelles européennes». Enfin, le « projet aborde les questions urgentes et actuelles en Europe et promet d’ouvrir de nouvelles perspectives sur nos sociétés multireligieuses2 ». (Non souligné dans l’original).

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Il est donc essentiellement soutenu que le monde arabe ne se serait pas borné à retransmettre la métaphysique et la logique aristotéliciennes à l’Occident, ce qui relativise la contribution d’un Averroès et ou d’un Al-Farabi, au profit d’un texte dogmatique où sont scrupuleusement et méthodiquement consignées les révélations communiquées au prophète par l’archange Gabriel.

Des expertises reconnues, par des conclusions qui semblent connues d’avance

Pourquoi pas ? Tout cela est bel et bien, et nul n’oserait nier l’expertise des participants à ce magnifique thème, comme on peut le constater sur le site, hélas truffé d’anglicismes, de « Nantes université » (sic) : le projet a pour intitulé  « EuQu – The European Qur’an – ERC Synergy Grant » (sic); l’on recense les « Membres de l’Advisory Board » (sic); enfin il est précisé que le médiéviste John Tolan en est le « Principal Investigator » (sic); à croire que le Brexit n’a jamais eu lieu. Incidemment, à noter aussi la présence de la professeure Naima Afif, traductrice des textes de Hasan el Banna (le fondateur des Frères musulmans) dans un livre édité par les Éditions Tawhid fondée en 1990 par l’Union des jeunes musulmans (section jeunesse Frères musulmans).

Cela dit, vu la « conviction » affichée par les « innevaissetigatorzes » du projet, on ne peut exclure le sentiment que leurs conclusions étaient déjà, sinon préétablies, au moins latentes dans leur esprit dès le départ. Pourrait-on voir dans la campagne de communication du Conseil de l’Europe lancée en 2021 sous le très orwellien titre « La liberté dans le hijab » une sorte de bande-annonce?…

En outre, ce thème eût plutôt dû faire l’objet d’une thèse de doctorat qui n’aurait engagé que la réputation et les ressources du thésard, de son université et d’éventuels organismes commanditaires privés, et non pas les fonds de l’Union européenne. Qu’à cela ne tienne. Le généreux contribuable et lecteur européen lambda brûle d’impatience de dévorer ces beaux travaux en 2026. Tout un best-seller en perspective qu’il jugera sur pièce. L’éradication des hémorroïdes et du cancer colorectal peut attendre.


  1. https://www.lejdd.fr/Societe/10-millions-deuros-pour-un-coran-europeen-enquete-sur-un-projet-polemique-finance-par-lunion-europeenne-157015 ↩
  2. https://euqu.eu/the-european-quran ↩

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