Les Prix du Trombinoscope, ou la consécration de l'entre-soi
Le petit monde politico-médiatique. - Journalisme et politique / Prix du Trombinoscope


Quand les « vedettes de la presse politique française » récompensent les politiques… et consacrent l'extrême droite.
Dans le petit monde politico-journalistique, il est des rendez-vous qui se font à découvert. Il en est un qui se fait même en grande pompe : chaque année, l'Assemblée nationale accueille la remise des Prix du Trombinoscope, au cours duquel un jury, composé de journalistes, récompense des politiques (« ministre de l'année », « député de l'année », etc.).
Ce 12 février, c'est donc la présidente de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, qui ouvre la soirée… et dresse les louanges des journalistes politiques : « Nous avons besoin de votre expertise pour décortiquer, décrypter, mettre en perspective. Besoin de votre plume pour déjouer les infox qui pullulent sur les réseaux sociaux. Besoin de vos analyses pour voir plus haut et plus loin. » Puis de passer le relais aux « vedettes de la presse politique française » – ce sont ses mots. Les « vedettes » en question, outre le président du jury Christophe Barbier, sont Albert Ripamonti (Public Sénat), Emmanuel Kessler (LCP), Sonia Mabrouk (Europe 1), Nathalie Mauret (Groupe Ebra), Yves Thréard (Le Figaro) et Ludovic Vigogne (La Tribune). Un casting qui permet de voir « plus haut et plus loin », assurément. [1]
On connaît le penchant des journalistes politiques pour l'auto-célébration, la pratique assumée de l'entre-soi, de la connivence... et le conformisme. On ne s'étonnera donc pas de voir le jury consacrer les déjà-consacrés médiatiquement, comme il est d'usage chaque année, à grand renfort d'envolées grandiloquentes, qui rappellent en quels termes l'« homme providentiel » et même le « messie » Emmanuel Macron avait été proclamé, pour la deuxième fois en trois ans, « révélation politique de l'année » en 2016.
Cette année encore donc, le journalisme politique divinise… le bruit médiatique, et canonise les « personnalités » dont il gonfle d'ordinaire le capital politique, de Unes en éditos, de portraits en sondages, de commentaires en bavardages [2] : Bruno Retailleau « personnalité politique de l'année », Karim Bouamrane « élu local de l'année » ou encore bien sûr Raphaël Glucksmann, « européen de l'année », mais aussi « intellectuel », selon les mots d'Yves Thréard, qui lui confie pour l'occasion sa feuille de route : « Qu'attendez-vous pour vous imposer à gauche face aux éructations de Jean-Luc Mélenchon ? […] Vous voulez faire émerger une offre politique nouvelle, sociale dites-vous, démocrate, écolo crédible et puissante. […] Eh bien chiche ! Êtes-vous prêt à prendre le pouvoir à l'occasion du prochain congrès du PS ? À vous de jouer ! »
Quant à la nomination comme « député de l'année » de Jean-Philippe Tanguy (RN), dix ans après que le maire FN d'Hénin-Beaumont Steeve Briois a été désigné « élu local de l'année », elle est un symptôme supplémentaire de la vaste promotion médiatique de l'extrême droite, à laquelle s'adonnent les professionnels les plus influents au sein du champ journalistique. Au nom du jury, François-Xavier d'Aillières, l'éditeur du Trombinoscope, célèbre ainsi son « style, sans fioritures, direct, offensif, tranchant. Dans l'hémicycle, vos interventions claquent ; sur les plateaux, vos formules fusent ; sur les réseaux, vos prises de position font réagir. […] Ce soir, monsieur le député, c'est votre place dans l'année politique au Parlement qui est mise en lumière. » L'intéressé ne s'y trompe pas, qui conclut son discours par une adresse à Marine Le Pen : « Ce soir, sous les dorures de la République, je tiens à lui dire qu'elle n'est pas seulement sur la photo, elle sera bientôt au pouvoir. »
Et le gratin applaudit.
Maxime Friot
[1] « Plongée immédiate dans un entre-soi politico-médiatique déconnecté, celui qui donne des leçons sur les plateaux télé et dans les éditos des grands journaux. Jury composé de journalistes et chroniqueurs en vue. Discours qui se veulent érudits, enlevés, mais qui ne sont souvent que des figures de style creuses. » dixit le député EELV Damien Girard sur son blog.