«La police ne peut plus rien pour vous…»
L'ancien policier, qui publie aujourd'hui un essai percutant et bien renseigné sur l'état actuel de notre police nationale, a répondu à nos questions. Il déplore notamment les effets de la réforme de la police judiciaire entrée en vigueur début 2024... L’article «La police ne peut plus rien pour vous…» est apparu en premier sur Causeur.

L’ancien policier, qui publie aujourd’hui un essai percutant et bien renseigné sur l’état actuel de notre police nationale, a répondu à nos questions. Il déplore notamment les effets de la réforme de la police judiciaire entrée en vigueur début 2024.

Causeur. Votre livre s’intitule La police ne peut plus rien pour vous, un titre fort. Qu’est-ce qui vous permet d’avancer cela ? Et pourquoi avoir écrit ce déprimant brûlot ?
Maurice Signolet. Je suis un ancien commissaire divisionnaire, aujourd’hui à la retraite, après quarante ans passés dans la police. J’ai commencé comme inspecteur de police, puis j’ai gravi les échelons : inspecteur principal, inspecteur divisionnaire, commissaire, commissaire principal… J’ai exercé principalement en police judiciaire, mais aussi en sécurité publique. Aujourd’hui, je suis un homme retraité, marié – depuis longtemps ! –, père de trois enfants et grand-père de six petits-enfants. Et j’ai voulu écrire ce livre pour raconter ces quarante années de service. Ce n’est pas juste un métier, c’est une vie. C’est un engagement quotidien. Mon objectif était de montrer, de l’intérieur, le quotidien d’un policier : ce qui se passe derrière la porte d’un commissariat, d’une brigade de PJ… Je pense que c’est un univers qui reste encore méconnu du grand public.
Selon moi, l’institution policière s’est profondément dégradée en quarante ans. Ce n’est pas seulement la faute des policiers, bien sûr. Il y a eu une accumulation de réformes – du Code pénal, du Code de procédure pénale, des structures administratives… – qui ont profondément modifié la sociologie policière. Le métier que j’ai connu en entrant dans la police n’a plus grand-chose à voir avec ce qu’il est devenu aujourd’hui.
Et vous affirmez que les forces de l’ordre sont désormais désarmées face à la réalité du terrain. Qu’est-ce qui vous permet de poser un constat si sévère ?
On parle beaucoup aujourd’hui d’un « ensauvagement » de la société. Ce n’est pas un mot vain. Il y a eu une véritable transformation sociologique : la violence s’est banalisée, la délinquance d’appropriation a explosé, et l’autorité n’est plus respectée comme elle l’était autrefois.
Quand je suis entré dans la police, la délinquance était marginale. On entrait dans ce métier un peu par romantisme, pour faire des enquêtes, jouer au commissaire Maigret… On vivait à la frontière entre deux mondes : la normalité et la marginalité. Mais aujourd’hui, la violence est omniprésente dans la société française. Les policiers peuvent être régulièrement pris à partie, agressés. Et ce qui était exceptionnel est devenu la norme.
Vous évoquez aussi un profond changement dans la manière même d’exercer le métier de policier…
Oui. Quand j’ai commencé, il n’était pas question de compter ses heures. Travailler le jour, la nuit, les week-ends ? Ce n’était pas un problème. On le faisait sans broncher, parce que c’était le métier qui voulait ça. D’ailleurs mon épouse ne travaillait même pas à l’époque, parce que j’étais convaincu qu’on ne pourrait pas avoir une vie familiale équilibrée, autrement.
Aujourd’hui, c’est l’inverse. Les agents réclament des horaires aménagés – ne pas travailler le mercredi, par exemple – et, en réponse, l’institution transforme la mission pour l’adapter aux contraintes personnelles ! Ce renversement est catastrophique. On a non seulement détruit la procédure pénale, mais on a aussi bousculé l’organisation même de la police.
Vous évoquez la disparition de la police judiciaire comme une conséquence de cette logique.
Oui. Cette réforme a été dictée par les syndicats. Elle permet, par exemple, à un gardien de la paix de faire toute sa carrière dans une seule région, sans changer de direction. C’est plus confortable pour lui, certes… mais est-ce que ça bénéficie à la population ? Absolument pas.
La police judiciaire, c’est un métier à part. Le maintien de l’ordre, c’en est un autre. Ces fonctions nécessitent des compétences spécifiques que cette réforme a effacées.
Aujourd’hui, un gardien de la paix peut faire carrière en passant d’un service à un autre, au gré des opportunités : sécurité publique, police aux frontières, puis PJ. Il suffit de changer d’étage. C’est absurde. Autrefois, chaque spécialité était respectée, structurée. Aujourd’hui, on fait tout pour satisfaire les agents… au détriment de l’efficacité.
Vous affirmez que la police est dirigée autant par ses syndicats que par la hiérarchie. Quel sont les effets de cet état de fait ?
Ils sont dramatiques. Et pour être honnête, je tiens effectivement autant la hiérarchie que les syndicats pour responsables. Avant, on avait une hiérarchie de compétence. Aujourd’hui, c’est une hiérarchie d’obéissance. On privilégie les carrières, les réseaux, les affinités, parfois ésotériques ou politiques, plutôt que le service public. Et le terrain le sait. Tout le monde est conscient de ça. Résultat : chacun se tient par la barbichette. L’autorité n’est plus légitime. Les syndicats sont aujourd’hui trop puissants. Ils influencent les décisions jusqu’au sommet. On assiste à une cogestion entre l’administration et les syndicats. Ce n’est pas sain.
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Ce que vous décrivez, c’est aussi un système déconnecté du terrain.
La fracture hiérarchique nuit immensément à l’efficacité de la police. Il faut une réforme en profondeur des modes de recrutement. Dans la gendarmerie, 70 % des officiers sont issus du rang. Dans la police nationale, ce n’est malheureusement pas le cas. Aujourd’hui, les officiers ou commissaires sont trop souvent parachutés. Ils n’ont pas fait leurs preuves sur le terrain. Et comme on a drastiquement réduit leur nombre, il est devenu très difficile pour un officier d’évoluer vers un poste de commissaire. Résultat : la hiérarchie est souvent perçue comme illégitime par les agents. Et cela nuit à l’autorité, au respect, à l’efficacité du commandement.
Vous critiquez également l’introduction du « management » dans la police. Pourquoi est-ce problématique ?
Parce que la police, ce n’est pas une entreprise. Ce n’est pas une société de services. On travaille avec l’humain, dans la douleur, l’urgence, parfois la violence. Le management « moderne » repose sur des logiques de rendement, de neutralité émotionnelle. Or, un commissariat, c’est tout sauf neutre. Moi, j’étais un chef « directif affectif ». J’étais impliqué émotionnellement, humainement. Et je pense que c’est indispensable dans ce métier. Le commandement doit reposer sur le charisme, sur la compétence, sur la légitimité affective. Ça, aucun diplôme, aucune école ne peut vous l’apprendre.
Dans votre livre, vous déplorez enfin que la police ne soit pas préparée aux nouvelles menaces, notamment le terrorisme. Pourquoi ?
Parce qu’on a démantelé ce qui fonctionnait. La disparition des Renseignements généraux a été une erreur majeure. On avait un maillage territorial fin, une connaissance intime du terrain. Aujourd’hui, on a centralisé, rationalisé… mais on a perdu en finesse, en réactivité. Il y a bien la direction générale de l’antiterrorisme, qui fonctionne, mais on ne peut pas tout concentrer à Paris. Et surtout, la masse de travail est devenue écrasante. On fait face à des comportements radicalisés de plus en plus visibles, partout sur le territoire. Et on n’a plus les moyens de les traiter à temps.
Enfin, une question de gauche (!) : comment rebâtir la confiance entre la police et la population ?
Cela va être très difficile. Et je ne pense pas qu’aux banlieues. L’épisode des gilets jaunes a laissé des traces profondes. On a vu une police d’obéissance, brutale, en décalage complet avec les citoyens. Aujourd’hui, la technopolice se développe partout – radars, caméras, surveillance automatisée – et la défiance grandit. Il faudrait tout reconstruire. Redonner du sens à l’autorité. Réhabiliter la notion d’interdit, de respect de la loi. Mais c’est un chantier sociétal colossal.
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