La boîte du bouquiniste

« Paris est la seule ville du monde où coule un fleuve encadré par deux rangées de livres », dixi Blaise Cendras. "Causeur" peut y dénicher quelques pépites... L’article La boîte du bouquiniste est apparu en premier sur Causeur.

Mar 9, 2025 - 08:14
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La boîte du bouquiniste

« Paris est la seule ville du monde où coule un fleuve encadré par deux rangées de livres », dixit Blaise Cendras. Causeur peut y dénicher quelques pépites…


Alphonse Boudard (1925-2000) a traversé une époque fort différente de la nôtre. Un temps où les prisons ne regorgeaient pas de téléphones portables, où les urgences des hôpitaux surchargés n’étaient pas encore les antichambres de la mort. La prison, l’hôpital, Alphonse les a bien connus. Ils sont les décors de ses délectables autobiographies. La magie de son art : acuité de l’observation, vie insufflée aux personnages et richesse lexicale où l’argot joue un rôle important.

Périodiquement, il se penche sur son passé. Il en prélève ou en recrée une savoureuse tranche de vie au gré d’une mémoire qui affectionne le zigzag. Un puzzle entamé en 1962 avec La Métamorphose des cloportes et qui s’est enrichi, au fil des années, d’une dizaine de titres dont La Cerise, L’Hôpital ou encore Les Combattants du petit bonheur (prix Renaudot 1977). Alphonse résistant, Alphonse voyou, en prison, au sana, au cinoche, Alphonse dégustateur du Café du pauvre

L’autobiographie prend corps, s’élargit aux dimensions d’une époque, devient fresque. Au point qu’il est vain d’en vouloir démêler la part du vécu et celle de la fiction. Un critique bien oublié aujourd’hui, Albert Thibaudet, prétendait non sans raison que « le génie du roman fait revivre le possible, il ne fait pas revivre le réel ».

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Incontestablement, Boudard a ce génie. Le chroniqueur, le mémorialiste se double chez lui d’un observateur volontiers caustique. Rien de moins conformiste et de moins convenu que le regard qu’il promène sur les choses et les gens. Par là, son œuvre est celle d’un véritable créateur.

« D’où je suis parti – les rues et les prisons –, on ne peut espérer mieux que ce qui vient de m’arriver. » Ainsi commentait-il, dans Le Figaro Magazine du 18 novembre 1996, le vote des académiciens qui venaient de lui décerner leur Grand Prix du roman pour Mourir d’enfance. Et il ajoutait : « Dans quelques années, si je ne suis pas tombé en quenouille, ce n’est pas l’Académie que je vise, mais le prix Nobel de la pègre. »

Bref, voilà Alphonse, l’Alphonse de La Cerise, propulsé au faîte de la célébrité. Les flics lui font la haie. La magistrature assise se lève à son passage. Du moins métaphoriquement. Quelle revanche !

Mais qui s’en plaindrait ? D’abord il mérite cette consécration. La chose n’est pas si courante dans la république des Lettres où relations influentes, magouilles, services rendus comptent souvent plus que le talent de plume.

Ensuite, et c’est peut-être le plus miraculeux, il n’a rien renié de ce qui fait le charme de ses écrits, le refus d’être dupe, cette insolence lucide qui perce à jour les faux-semblants. Et cette candeur simulée dont on sait depuis Voltaire qu’elle peut être la plus redoutable des armes.


Les Vacances de la vie (Les Combattants du petit bonheur, Bleubite, Le Corbillard de Jules, Le Café du pauvre, L’Éducation d’Alphonse), Presses de la Cité, coll. Omnibus, 1996.

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