Kendrick Lamar au Super Bowl : des concerts toujours plus politiques ?

Les concerts du Super Bowl sont politiques. Cette année, le rappeur Kendrick Lamar, maître de l’équilibre délicat entre succès commercial et militantisme, est tête d’affiche.

Fév 10, 2025 - 19:48
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Kendrick Lamar au Super Bowl : des concerts toujours plus politiques ?
La participation de Kendrick Lamar au Super Bowl 2025 marque un tournant politique pour la NFL. AstridaValigorsky/Getty Images

Le Super Bowl 2025 s’est tenu dimanche 9 février, avec le rappeur Kendrick Lamar en tête d’affiche du concert de mi-temps. À ses côtés, 80 danseurs vêtus de rouge, de blanc et de bleu, évoquant un drapeau américain mouvant, et Samuel L. Jackson costumé en Oncle Sam. Difficile de ne pas voir une mise en scène politique, surtout quand l’Oncle Sam lâche un : « Trop bruyants, trop téméraires, trop ghetto », devant la prestation de ces danseurs aux couleurs patriotiques.


Dans la publicité de la National Football League (NFL) qui annonçait que Kendrick Lamar assurerait la mi-temps du Super Bowl 2025, le rappeur de 37 ans se tenait devant un gigantesque drapeau américain et mettait des ballons de football dans une machine qui les lançait vers des receveurs. « Est-ce que vous répondrez présent ? Je l’espère », disait-il en annonçant sa participation sur l’une des plus grandes scènes du monde, où les enjeux culturels peuvent être aussi importants que les enjeux sportifs.

Artiste de renommée mondiale, lauréat d’un Grammy et d’un prix Pulitzer, Kendrick Lamar joue dans sa propre ligue. Ses critiques sans détour des injustices raciales, de l’inégalité systémique et de l’exploitation de la culture noire ont fait de lui un visionnaire culturel et un artiste qui repousse les limites.

Mon travail porte sur la façon dont la race et le racisme sont construits, représentés et remis en question dans les médias de masse, en particulier dans les actualités, la musique et le sport. L’histoire compliquée de la NFL en matière de justice sociale rend la participation de Kendrick Lamar encore plus significative.

Sports, politique et retour de bâton

Le sport a toujours été politique, malgré les appels persistants de certains à ne pas mêler la politique au sport. La tradition de jouer l’hymne national avant les événements sportifs n’est qu’un exemple parmi d’autres : la chanson est enracinée dans la douleur de la guerre et sert d’appel au patriotisme.

Il y a aussi les actes de protestation – non sanctionnés – des joueurs et des supporters. Lorsque les athlètes professionnels font grève, il s’agit d’un acte politique. Lorsque les supporters déploient des banderoles pour soutenir les Palestiniens, c’est politique. Depuis le poing levé de Tommie Smith et John Carlos aux Jeux olympiques de 1968 en solidarité avec les communautés noires pendant le mouvement pour les droits civiques, jusqu’au refus de Muhammad Ali de participer à la guerre du Viêt Nam, en passant par l’agenouillement de Colin Kaepernick pour protester contre les brutalités policières, les athlètes utilisent depuis longtemps leur tribune pour remettre en question les injustices.

Pourtant, les actes militants suscitent souvent des réactions négatives, et la NFL tente de réguler le discours politique.

Portrait d’un homme d’âge moyen aux cheveux blond blanchâtre et portant une épaisse écharpe rouge
Clark Hunt, président-directeur général des Kansas City Chiefs, a fait des dons à des politiciens républicains, alors que la ligue tente de museler le discours politique des joueurs. Kevin C. Cox/Getty Images

Les actes militants de Kaepernick ont déclenché un débat national sur le patriotisme et le fait de manifester des opinions politiques sur le terrain de jeu. Les propriétaires de la NFL ont ensuite semblé le mettre à l’index de la ligue. Nick Bosa, défenseur de l’équipe des 49ers (de San Francisco, ndlr), a été condamné à une amende pour avoir violé une règle interdisant aux joueurs de porter des vêtements véhiculant des « messages personnels » lorsqu’il a porté un chapeau MAGA (Make America Great Again) lors d’une interview d’après-match en 2024. En parallèle, les propriétaires de la NFL ont donné des millions aux campagnes présidentielles, la plupart de ces contributions allant aux candidats républicains.

Kendrick Lamar : un artiste et un militant

Le spectacle de la mi-temps du Super Bowl est plus qu’un simple intermède musical, et ce depuis longtemps. C’est une scène où convergent des courants culturels et politiques.

Lors de l’apparition de Beyoncé en 2016 aux côtés de la tête d’affiche Bruno Mars, elle a rendu hommage aux Black Panthers, à Malcolm X et au mouvement Black Lives Matter. La prestation de U2, lors du Super Bowl 2002, a été un moment de deuil collectif et d’espoir pour un pays encore sous le choc des attaques terroristes du 11 septembre.

Plus récemment, la performance de Dr. Dre en 2022 a célébré l’ascension du hip-hop d’un genre marginalisé à une force culturelle dominante. Eminem, qui a également participé à ce spectacle, s’est agenouillé sur scène pour critiquer le traitement réservé par la NFL aux athlètes et militants noirs.

Un rappeur vêtu de noir s’agenouille à côté d’un homme chauve assis sur un banc de piano blanc et jouant d’un piano blanc
Le rappeur Eminem s’agenouille lors du spectacle de la mi-temps du Super Bowl LVI, le 13 février 2022. Valerie Macon/AFP

Pour moi, la participation de Kendrick Lamar au Super Bowl symbolise une réflexion plus large sur la manière dont la NFL gère la tension entre la politique et le divertissement commercial.

En effet, l’art de Kendrick Lamar est plus que de la musique. C’est du militantisme.

Depuis son album To Pimp a Butterfly, récompensé par un Grammy, jusqu’à l’album brut et introspectif DAMN., lauréat du prix Pulitzer, Kendrick Lamar n’a cessé d’aborder les thèmes de l’oppression systémique, de l’injustice raciale et du quotidien des Afrodescendants aux États-Unis.

Des morceaux comme « DNA. » sont des célébrations sans complaisance du fait d’être noir et de la résilience générationnelle :

I got loyalty, got royalty inside my DNA
Quarter piece, got war and peace inside my DNA
I got power, poison, pain and joy inside my DNA
I got hustle, though, ambition flow inside my DNA

J’ai de la loyauté, de la royauté dans mon ADN
Pièce de 25 cents, guerre et paix dans mon ADN
J’ai du pouvoir, du poison, de la douleur et de la joie dans mon ADN
J’ai de l’agitation, le flow de l’ambition dans mon ADN

« The Blacker the Berry » explore les complexités de l’identité noire et de la confrontation avec le racisme systémique :

I said they treat me like a slave, cah me Black
Woi, we feel whole heap of pain cah we Black
And man a say they put me inna chains cah we Black

J’ai dit qu’ils me traitent comme un esclave, parce que je suis noir
On ressent masse de souffrance, car nous sommes noirs
Et ils disent qu’ils nous ont enchaînés parce qu’on est noirs

Et « XXX. » confronte la cupidité, la violence et l’hypocrisie au cœur de la vie américaine.

Hail Mary, Jesus and Joseph
The great American flag
Is wrapped and dragged with explosives
Compulsive disorder, sons and daughters
Barricaded blocks and borders, look what you taught us
It’s murder on my street
Your street, back streets, Wall Street

Je vous salue Marie, Jésus et Joseph
Le grand drapeau américain
Est enveloppé et tiré avec des explosifs
Trouble compulsif, fils et filles
Blocs barricadés et frontières, regardez ce que vous nous avez appris
C’est le meurtre dans ma rue
Ta rue, les ruelles, Wall Street

Contrairement à de nombreux artistes grand public, Kendrick Lamar semble maîtriser l’équilibre délicat entre succès commercial et texte politique. Son génie réside dans sa capacité à écrire des chansons qui transcendent la race, le sexe et la classe sociale.

Alors que les États-Unis sont aux prises avec des puissances poussant à démanteler les pratiques de diversité, d’équité et d’inclusion, alors que le pouvoir des entreprises est de moins en moins contrôlé, les conversations sur la race et l’inégalité restent au premier plan.

Kendrick Lamar n’a jamais hésité à traiter de vérités dérangeantes dans sa musique et le Super Bowl est une occasion unique de fusionner art, militantisme et critique des États-Unis. Il s’est donc saisi de cet événement.

Est-ce que vous avez répondu présent ? Moi, oui.The Conversation

Christina L. Myers ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.