Grand corps malade
Qu’est-ce que la nation française ? Telle est la question complexe à laquelle répond l’historien Éric Anceau dans son nouveau livre. Des origines à jours, entre mythes et réalité, il dresse un état des lieux sans concessions... L’article Grand corps malade est apparu en premier sur Causeur.

Qu’est-ce que la nation française ? Telle est la question complexe à laquelle répond l’historien Éric Anceau dans son nouveau livre. Des origines à jours, entre mythes et réalité, il dresse un état des lieux sans concessions.

C’est l’histoire d’un « organisme vivant composé lui-même de millions d’atomes de vie ». Cet organisme vivant, c’est la nation française. Avant de s’atteler à une telle tâche, encore faut-il définir ce qu’est une nation, et l’historien Éric Anceau reconnaît d’emblée la difficulté : l’Académie française elle-même en donne trois déclinaisons dans la dernière édition de son Dictionnaire ! Elle peut être « l’ensemble des personnes établies sur un territoire et unies par des caractères ethniques, des traditions linguistiques, religieuses, etc. », mais aussi « l’ensemble des personnes formant la population d’un État déterminé soumise à la même autorité politique souveraine », et encore « l’ensemble des citoyens considéré comme un corps social distinct des individus comme du gouvernement ».
De grandes choses
De plus, Éric Anceau souligne que la nation française est une construction mentale qui relève de la culture politique dont le sens a lui-même évolué au fil du temps. « Au Moyen Âge, le mot « nation » peut désigner encore à la fois un lieu de naissance commun mais aussi un groupe d’individus de même origine ou qui exercent la même fonction, comme des étudiants ou les membres d’une corporation », explique-t-il avant de préciser que « la nation est très précocement une représentation, la forme d’une communauté sociale ou d’un « être-ensemble », pour reprendre la jolie formule de Pierre Nora, même si elle demeure évidemment totalement inaboutie et très ambivalente ».
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La nation s’appuie aussi sur une culture commune qui comprend l’hymne, le drapeau, les accents, le patrimoine, la gastronomie, les paysages, la musique… « Regardez la chanson populaire, nous dit-il, on peut tous se retrouver à la mort d’un grand artiste de variété, il y a une émotion partagée car il rappelle à chacun des souvenirs personnels. La nation se retrouve aussi lors de grands événements sportifs. C’est la preuve que nous avons un commun partagé. » On peut voir là une illustration de la définition donnée par Ernest Renan lors de sa fameuse conférence à la Sorbonne, Qu’est-ce qu’une nation ?, en 1882, quand il affirme que « c’est d’avoir fait ensemble de grandes choses dans le passé et de vouloir en faire encore dans l’avenir ». Mais ça, c’était avant. Le liant qui a fédéré les Français de l’Ancien Régime à la République s’est brisé, « la machine qui intégrait, assimilait, émancipait, fabriquait et unissait des citoyens s’est grippée ». La responsabilité des politiques, tous bords confondus, n’est pas négligeable. Ce sont eux qui, dès les années 1980, ont progressivement remplacé dans leur discours l’« assimilation » par l’« intégration », et certains parlent désormais d’« insertion » voire de « cohabitation », comme l’a préconisée le conseiller d’État Thierry Tuot dans un rapport rendu en 2012 et qui a embarrassé François Hollande lui-même – il s’est empressé de l’oublier dans un tiroir. « L’assimilation est devenue un tabou, insiste Éric Anceau, alors qu’elle figure en toute lettre dans le Code civil. Emmanuel Macron voulait le réviser pour supprimer cette mention, précisément, mais s’est rétracté. On n’est plus là dans le « en même temps » mais dans le « successivement », il réagit en fonction de l’air du temps, du contexte, de ce qui lui sera le plus favorable… Selon moi, un homme politique ne peut varier de discours sur un tel sujet. »
Menace archipélisation
L’organisme bouge encore mais il est fort malade. S’appuyant sur les travaux de Jérôme Fourquet, notre historien explique que si l’archipélisation est un risque pour toutes les nations, il l’est particulièrement pour la nation française car « nous avons un idéal hérité en grande partie des Lumières et de la Révolution, avec les droits de l’Homme et beaucoup de choses qui sont induites, et bien sûr la laïcité. Or ce qui est en train de se passer dans nos « quartiers » menace gravement notre nation républicaine. »
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Il précise que « la menace qui pèse sur la nation vient à la fois de l’intérieur, de la base, mais vient aussi de l’extérieur : la mondialisation, la déconstruction dans le cadre d’une Europe diluée ». Et il évoque plusieurs enquêtes montrant qu’« une majorité de Français considèrent que la mondialisation est loin d’être systématiquement heureuse, que l’Union européenne n’est pas une France en plus grand, mais une construction radicalement différente, et que le multiculturalisme revient à changer complètement de société ». À cela s’ajoute, en pendant du communautarisme, le fait que « la culture commune et le passé national sont noircis et ne sont plus les sources d’inspiration qu’ils ont pu être auparavant. Les cultures singulières et les mémoires particulières les ont en partie supplantés ». Une nation se doit de faire son examen critique mais ne peut vivre sur le repentir, d’autant que l’imaginaire français, selon l’auteur, ne repose pas seulement sur le passé, il est aussi une projection. « Le récit national est un récit d’avenir. Or la France souffre depuis plusieurs décennies d’un déficit d’hommes et de femmes d’État capables de lui donner un horizon. Il s’agit, là aussi, d’une partie du drame de la nation, mais il n’y a, là non plus, aucune fatalité en la matière. » Éric Anceau refuse de sombrer dans le pessimisme car il continue de croire en la force de la politique. Il est cependant lucide et reconnaît que « la chose n’est pas aisée car notre pays ne possède pas l’habitude du débat citoyen, n’a pas la culture du compromis et ne pratique plus le référendum, ses élites au sens large n’ayant rien fait pour encourager la première, pour montrer l’exemple de la deuxième et pour redonner la parole au peuple par le troisième depuis l’expérience de 2005 ». À ce rythme-là, on se demande ce que l’Académie française pourra mettre dans sa définition de la nation dans son prochain Dictionnaire.
Éric Anceau, Histoire de la nation française. Du mythe des origines à nos jours, Tallandier, 2025.
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