Et l’impressionnisme fut…

Jusqu’au 31 août 2025, le Musée Marmottan Monet consacre une exposition à Eugène Boudin (1824-1898), le maître entre autres des marines et des plages deauvillaises. Le natif d’Honfleur, initiateur sans le vouloir d’un mouvement pictural dont il n’était pas totalement convaincu est désormais un classique et un éclaireur du ciel... L’article Et l’impressionnisme fut… est apparu en premier sur Causeur.

Mai 1, 2025 - 14:52
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Et l’impressionnisme fut…

Jusqu’au 31 août 2025, le Musée Marmottan Monet consacre une exposition à Eugène Boudin (1824-1898), le maître entre autres des marines et des plages deauvillaises. Le natif d’Honfleur, initiateur sans le vouloir d’un mouvement pictural dont il n’était pas totalement convaincu est désormais un classique et un éclaireur du ciel


Rien ne lui fut acquis aisément, rien ne fut météoritique dans la carrière d’Eugène Boudin, le patient normand. Il n’était pas de la race des précoces géniaux qui affole la critique officielle si prompte à s’enticher, sur un malentendu, du premier agitateur venu. Il ne fut pas couronné de succès immédiat et accablé de commandes, dès ses débuts. Il dut patienter dans le purgatoire des artistes jusque dans les années 1880 pour savoir si la gloire lui sourirait ou bien si l’oubli revêtirait son œuvre. Ce cheminement ne fut donc pas un long fleuve tranquille et ce n’est finalement que dans les vingt dernières années de sa vie professionnelle qu’il put enfin connaître une forme de quiétude commerciale et une reconnaissance légitime au-delà du Calvados.

Le marchand Durand-Ruel veillait alors sur sa destinée et l’État, toujours en retard d’une bataille artistique, lui achetait des tableaux et le primait. Aujourd’hui, son apport à l’Histoire de la peinture semble si évident, son talent s’impose si naturellement qu’on le qualifie même de « père de l’impressionnisme ». Il s’en défendait mollement car il n’adhérait pas totalement à cette tendance du « vite fait ». Bien qu’il travaillât à l’extérieur avec son chevalet, en contact direct et fluctuant avec la lumière, il terminait ses tableaux dans son atelier. Contrairement aux chantres de l’impressionnisme, Boudin en bon artisan indépendant, il fut commis imprimeur puis encadreur à son compte, largement inspiré par le paysagiste Corot, fit la synthèse entre deux élans, la flamboyance du fugitif et le détail du dessin. Comme si deux attractions presque contradictoires cohabitaient dans son art pour aboutir à une harmonie rêveuse et cependant, accrochée à une réalité sociale. C’est le paradoxe de cette peinture qui nous séduit par ses fulgurances graciles et nous saisit tout autant par la profondeur de ses thèmes choisis. L’exposition montre combien le peintre fut attentif à la vie humble des gens, notamment dans sa « période » bretonne, il entra dans leurs modestes foyers paysans et témoigna du labeur des champs. Boudin est connu pour avoir mis le pied à l’étier du jeune Monet, celui-ci rechignait pourtant à le suivre, il appréciait en fait très peu ses réalisations. Caricaturiste surdoué dès l’âge de seize ans, Claude Monet avait tapé dans l’œil de Boudin et naquit entre eux une amitié durable et sincère. Monet dut reconnaître à la fin de sa vie qu’il devait tout à Boudin. Le Musée Marmottan a réuni 80 peintures issues d’une collection privée sur les deux cents que possède un mathématicien, un nommé Yann Guyonvarc’h. L’anecdote colle au tempérament de Boudin et son côté hors des lignes académiques. C’est souvent d’un non-spécialiste que surgit l’intelligence du trait et, en ce cas précis, la préservation du patrimoine. Ce collectionneur autodidacte avec une grande clairvoyance, en peu de temps, a acquis un grand nombre de toiles couvrant toutes les époques, les débuts, les marines, Deauville-Trouville, le Finistère, Bordeaux, Venise, la Belgique et jusqu’au soleil du Midi.  Avec son épouse, ce collectionneur avisé est d’abord tombé sous le charme des paysages normands dans une vente aux enchères puis, au fil du temps, il s’est laissé emporter pour toute la panoplie de Boudin jusqu’au soleil de la Méditerranée. Boudin a toujours rencontré des anges gardiens sur sa route ; avant Guyonvarc’h, ce furent Baudelaire, Courbet ou le pianiste Bériot qui virent en lui, un artiste majeur du XIXème siècle. Si Boudin irrite les ferrailleurs de l’audace stylistique par ses scènes pépères de plages ou s’amusent de son allégeance (peu rémunératrice) à la clientèle du Duc de Morny, ils ont oublié de lever les yeux. Le ciel de Boudin, parsemé de nuages, tantôt fugaces, tantôt tempétueux, dans une palette allant du chagrin à l’aube du monde, est un océan de plénitudes et de doutes délicats. Il y a confusément un appel au large et un ébahissement de la terre ferme. Pour une peinture décrite à tort de bourgeoise et décorative, elle remue les méninges. 

Courez voir dans le XVIème arrondissement, l’aiguille d’Étretat baignant dans une mer bleu-orangée, elle décillera les plus cyniques et désabusés d’entre nous.

2 Rue Louis Boilly, Paris (16e). 14€


Eugène Boudin Étretat, la falaise d’Aval au soleil couchant 1890 Collection Yann Guyonvarc’h
© Studio Christian Baraja SLB

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