Éric Naulleau dans « C médiatique » : de complaisance en légitimation
France 5. - France 5 / France 5, « C médiatique », Eric Naulleau


Tandis que la gauche n'en finit pas d'essuyer les calomnies, diabolisée à flux continu, l'extrême droite et ses relais capitalisent sur la complaisance des plateaux prétendument « respectables ». Énième démonstration du service public, où de dépolitisation en médiocrité, le confusionnisme va bon train, favorisé par l'entre-soi.
Le 6 avril, c'est au terme d'une séquence renversante de « décryptage » des éléments de langage du RN après la condamnation judiciaire de Marine Le Pen – les reproduisant en réalité les uns après les autres, du fait de l'absence totale de contradiction après leur diffusion – que la brillante équipe de « C médiatique » (France 5) introduit son « invité du jour » : Éric Naulleau. Un « polémiste provocateur, essayiste, fan de culture et de rock », lançait vaillamment la présentatrice Mélanie Taravant lors du sommaire, disposée à tous les euphémismes pour ne pas employer les termes qui s'imposent à l'égard de ce compagnon de route de l'extrême droite, préférant évoquer une « grande gueule du PAF » ou encore un « critique littéraire, éditeur, essayiste, chroniqueur, avec des prises de position toujours très tranchées ».
Comme le résumait Blast dans un portrait aux petits oignons, la carrière d'Éric Naulleau parle pourtant pour elle, depuis sa franche amitié avec Éric Zemmour et la co-écriture d'un livre avec l'antisémite Alain Soral, jusqu'à des contributions dans « l'ensemble des médias les plus réactionnaires, voire franchement d'extrême droite » (Le FigaroVox, Valeurs actuelles, L'Incorrect, Éléments, Frontières, Front Populaire, etc.), en passant par des « conférences à l'université d'été de Reconquête, […] à l'invitation de sections locales de Reconquête, décidément, voire de l'Action française ». Bref, les « accointances personnelles et idéologiques [d'Éric Naulleau] avec l'extrême droite ne sont pas nouvelles, loin de là ».
« Est-ce que vous vous sentez encore de gauche ? »
Mais ces faits d'arme ont de toute évidence un goût de trop peu pour les journalistes de « C médiatique ». Au prix de moult contorsions, le chroniqueur François Saltiel – également producteur et animateur sur France Culture – entretient ainsi le confusionnisme ambiant :
François Saltiel : Vous partez sur C8, dans la galaxie un petit peu Bolloré, avec Cyril Hanouna, où vous êtes chroniqueur, puis joker, puis vous avez vos émissions ; vous signez aussi dans le JDD qui appartient au même groupe. Et puis c'est là où, peut-être, certaines personnes ont un peu eu du mal à vous suivre, parce que c'est un peu confus finalement d'être de gauche et d'officier comme ça sur le groupe Bolloré. Vous le comprenez, justement, ce côté un peu illisible que vous pouvez donner à certaines personnes ? Est-ce que vous vous sentez encore de gauche ?
KO debout, Éric Naulleau a dès lors toute latitude pour se revendiquer sans ciller – et comme il en a l'habitude – d'« une gauche sociale, laïque, universaliste, antitotalitaire, donc tout le contraire de la gauche qui a pignon sur rue », sans rencontrer d'autre embûche que la timidité du producteur de France Culture :
François Saltiel : Lorsque vous êtes par exemple… alors, vous vous en êtes déjà expliqué mais…, au premier rang d'un meeting d'Éric Zemmour, candidat quand même d'extrême droite, et quand vous avez récemment participé à une manifestation, « Le Printemps de la liberté d'expression » [1], qui se situait dans la ville dirigée par le RN Louis Aliot à Perpignan, là, vous comprenez que ça peut parfois être un peu confus de se dire bah finalement ok, il ne se reconnaît pas dans la gauche telle qu'elle est incarnée par Jean-Luc Mélenchon, mais de là à participer à des événements qui sont classés d'extrême droite, c'est aussi compliqué…
Quand la dépolitisation le dispute à la bienséance attendue du microcosme médiatique, il devient en effet « compliqué » d'affronter l'extrême droite, comme le démontre (à nouveau) quelques minutes plus tard François Saltiel lors de son « interview cash ». Florilège :
- François Saltiel : Est-ce que vous vous sentez plus proche d'un Laurent Ruquier ou d'un Cyril Hanouna ? […]
- François Saltiel : Sur Hanouna, vous déclariez en 2021 dans Libération qu'il était très, très loin de vous, que vous n'avez pas du tout la même complicité intellectuelle, que vous étiez dans deux champs complétement opposés. C'est encore le cas aujourd'hui ?
- Éric Naulleau : Oui, moi je suis du côté de la culture, on ne peut pas dire que ce soit la préoccupation de Cyril Hanouna.
- François Saltiel : Alors pourquoi y être justement, vous avez pas l'impression que d'être dans cette émission, c'est donner une caution culturelle et d'une certaine façon, la dévoyer un peu ? […]- François Saltiel : Sur la culture justement, on sait que c'est peut-être votre envie première, de revenir encore plus à la culture, peut-être pourquoi pas [de] développer une émission culturelle.
- Éric Naulleau : Vous avez un boulot à me proposer ?
- François Saltiel : Ouais !
- Éric Naulleau : Ah d'accord !
- François Saltiel : Vous pourriez revenir sur le service public justement pour le faire ?
On le voit, avec les têtes de gondole de Bolloré, le ton est sans concession…
« CNews ne colle-t-elle pas, aussi, aux attentes des Français ? »
Le reste de l'émission est à l'avenant, dont rien ne saurait ébranler le concept édicté par Mélanie Taravant en septembre 2022 : « Les rires et les sourires n'empêchent pas l'analyse, d'autant que c'est ce que les gens ont envie de voir un dimanche midi : un moment de détente ». De quoi autoriser toutes les badineries de la journaliste, et ce, dès l'entrée d'Éric Naulleau, assis au côté du chef cuisinier Philippe Etchebest : « Est-ce que vous vous connaissez ? Vous avez déjà testé un de ses restos ? […] Je crois que vous aimez bien le pain perdu ! » Si les rires sont indéniablement au rendez-vous du plateau, « l'analyse » y est un laissé-pour-compte. Cela dit, ne laissons pas croire qu'il aurait pu en être autrement, en particulier lorsque l'un des objectifs affichés de l'émission était d'« analyser les raisons de l'ascension de CNews »… avec l'un de ses habitués.
À ce chapitre, les téléspectateurs auront donc naturellement appris de la bouche d'Éric Naulleau que « globalement, [CNews] est une chaîne qui s'occupe de la réalité quand il y a des médias qui sont beaucoup plus intéressés par le déni de réalité ». Terrassés par tant d'analyse, les journalistes n'ont visiblement pour seule arme que de vagues rappels aux condamnations de l'Arcom et quelques parades parfaitement creuses… et donc forcément inoffensives : « Le "déni de la réalité" dans les autres médias, je ne vois pas comment on peut dire ça », avance par exemple péniblement la présentatrice rebelle. Face à tant d'adversité, Éric Naulleau poursuit en expliquant que « la contradiction est présente sur le plateau de CNews », comme le fut « la nuance » dans l'affaire… de Crépol [2], qu'il n'y a « pas de position a priori » sur la chaîne et que de « vrais débats » y ont lieu. Non contente d'être une nouvelle fois à court d'arguments étayés, l'assemblée lui pave même la voie. Lise Pressac : « Est-ce que vous […], cette contradiction, parfois, vous vous sentez parfois un peu seul à la porter sur les plateaux de CNews ? » Quand il n'en va pas plutôt d'un véritable tapis rouge :
- Marie-Virginie Klein : Est-ce qu'il n'y a pas une question de vouloir coller à la réalité de ce que pensent les Français ? Moi, j'aime bien regarder les sondages d'opinion, et c'est vrai que là, quand on regarde le dernier sondage Ipsos qui a été publié en février, on voit qu'il y a trois priorités pour les Français. La première, c'est la violence, la criminalité ; la deuxième, c'est l'inflation donc le pouvoir d'achat ; et la troisième, c'est l'injustice, la lutte contre les pauvretés. Est-ce que finalement, dans ses choix éditoriaux, CNews ne colle pas, aussi, aux attentes des Français ? Je voudrais qu'on écoute peut-être Jean-Daniel Lévy de l'institut Harris Interactive pour réagir, peut-être, à ce qu'il va nous dire.
- [Extrait de l'interview de Jean-Daniel Lévy] : Il y a une croissance de la proportion de Français qui se situe à droite ou très à droite sur l'échiquier politique, des électeurs qui disent : « Au moins, les vraies choses sont dites sur CNews ». Des thèmes qui sont abordés et qui leur parlent. Les questions d'immigration, d'insécurité et une forme de remise en cause de ce qui apparaît comme étant la bien-pensance. Donc ils retrouvent chez CNews des points qui correspondent à leurs aspirations, à leurs interrogations, à leurs doutes et également à leurs souhaits.
- Éric Naulleau : Jean-Daniel Lévy parle d'or. Moi, j'ai l'impression que le succès de CNews s'explique parce qu'il aborde franchement et de manière contradictoire, sous forme de débat, des thèmes qui étaient longtemps interdits. Je parle de la violence, je parle de l'immigration, c'est-à-dire que pendant des années, on a expliqué aux gens qu'ils ne vivaient pas ce qu'ils vivaient, qu'ils ne subissaient pas ce qu'ils subissaient […].
Entre-soi, dépolitisation, médiocrité… Au mépris des faits, dûment étayés par moult travaux en science politique – et par la critique des médias –, France 5 laisse triompher l'opinion, prospérer le commentariat au doigt mouillé et ce faisant, sert la soupe à l'extrême droite. « C médiatique » n'est pas « CNews ». Mais comme ailleurs dans les médias dominants, c'est à force d'indigence et de petites lâchetés (accumulées) qu'on y fait la grande banalisation de l'extrême droite.
Pauline Perrenot
[1] Un événement dont François Saltiel aurait pu préciser qu'il réunissait le gratin des (extrêmes) droites habitué des plateaux de CNews, de Michel Onfray à Henri Guaino en passant par Florence Bergeaud-Backler, Georges Fenech, Alain de Benoist et bien d'autres, réunis pour disserter de questions aussi éloquentes que « Pourquoi les Français ne sont plus fiers de leur Histoire de France ? » ; « Droite du terroir, droite de Saint Germain des Près : complémentaires ou ennemis ? » ; « Le wokisme nouvelle tyrannie ? » ou encore « Fier et orgueilleux, le coq gaulois n'a pas toujours été un mouton tondu ».
[2] Voir par exemple « Meurtre de Crépol : sur BFMTV et CNews, le grand défouloir de l'extrême droite », Télérama, 8/12/2023, « Crépol, récit d'une bataille médiatique », Blast, 10/12/2023 et « CNews désinforme et le sait : la preuve par Crépol », Mediapart, 3/04/2024.