Coupes budgétaires dans la recherche médicale sous Trump : un impact majeur dans les États ruraux, notamment républicains
Les NIH, qui financent la recherche médicale aux États-Unis, ont annoncé des coupes budgétaires massives. Celles-ci vont affecter davantage les États ruraux qui, pour la plupart, ont voté Trump.

Conséquence de la nouvelle politique à l’œuvre à la Maison Blanche, les National Institutes of Health (instituts nationaux de la santé, NIH), principale source de financement de la recherche médicale aux États-Unis, ont annoncé des coupes budgétaires drastiques. L’impact de ces coupes sur des centres de recherche et de traitement de maladies comme le cancer sera majeur. Les États ruraux (dont les habitants sont en moyenne plus éloignés des soins médicaux), qui ont pour la plupart voté Donald Trump, seront particulièrement affectés.
Les National Institutes of Health (NIH) sont les principaux bailleurs de fonds fédéraux de la recherche médicale aux États-Unis. Les financements alloués par les NIH stimulent la recherche et l’innovation, ce qui permet de mieux comprendre et de mieux traiter les maladies et d’obtenir de meilleures performances dans le domaine de la santé.
En 2023, les NIH ont accordé plus de 35 milliards de dollars de subventions à plus de 2 500 universités et autres institutions pour soutenir la recherche biomédicale. Ces institutions ont donc été choquées lorsque les NIH, appliquant la nouvelle politique de l’administration Trump II, ont annoncé, le 7 février 2025, des coupes de l’ordre de 5,5 milliards de dollars par an dans les financements alloués aux organismes bénéficiaires.
Le 5 mars, une juge fédérale de Boston a émis une injonction nationale bloquant ces coupes, estimant qu’elles étaient illégales. Toutefois, la Maison Blanche fera très certainement appel.
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Nous sommes un couple marié d’immunologistes dont les travaux sont financés par les NIH depuis plusieurs décennies. Nous pensons que nos recherches ont permis de mieux comprendre les maladies inflammatoires et les maladies auto-immunes. De plus, l’un de nous deux (Prakash Nagarkatti) a été vice-président de la recherche à l’Université de Caroline du Sud pendant plus de dix ans, ce qui l’a amené à gérer toutes les subventions accordées à l’université par les NIH.
Nous pensons que ces coupes seront préjudiciables à l’ensemble du pays. Et elles affecteront de manière disproportionnée les États qui ont traditionnellement reçu de très faibles niveaux de financement des NIH, dont la majorité sont des États dits « rouges », c’est-à-dire qui ont majoritairement voté en faveur de Donald Trump en novembre dernier. En effet, ces États manquent de ressources pour développer les infrastructures de recherche innovante, qui sont nécessaires pour être compétitifs au niveau national, et donc de bénéficier des financements des NIH.
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Plusieurs sénateurs républicains se sont opposés à ces coupes dans le financement de la recherche, notamment Susan Collins, du Maine, qui a déclaré qu’elles seraient
« dévastatrices, qu’elles mettraient fin à des recherches biomédicales vitales et qu’elles entraîneraient des pertes d’emplois ».
Un soutien à la recherche sur le cancer, la maladie d’Alzheimer…
Le financement par les NIH est essentiel pour faire avancer la recherche biomédicale, améliorer la santé publique et encourager l’innovation. L’impact de ce financement s’étend à différentes facettes de la société.
Les NIH financent des recherches biomédicales qui aboutissent au développement de vaccins ou de nouveaux médicaments permettant de prévenir et de traiter des maladies infectieuses et des affections cliniques. Les NIH ont joué un rôle crucial dans le financement de la recherche sur les pandémies et les crises sanitaires mondiales causées par le VIH/sida et le Covid-19.
De plus, les NIH soutiennent la recherche de pointe dans des domaines spécialement ciblés comme la lutte contre le cancer, grâce à la création de centres consacrés à la prévention du cancer, au diagnostic, aux essais cliniques et aux traitements innovants. Chaque année, environ 400 000 patients sont diagnostiqués et traités pour un cancer dans ces centres.
De même, les NIH subventionnent la recherche dans d’autres domaines spécifiques, tels que la maladie d’Alzheimer, par la création de centres de recherche spécialisés.
Un impact sur l’innovation et l’activité économique
Les NIH financent également la recherche sur l’innovation menée par de petites entreprises et les opportunités de transfert de technologie de ces petites entreprises. Ces programmes stimulent l’innovation technologique en finançant les petites entreprises dans le but de commercialiser de nouvelles idées de recherche.
Par ailleurs, cette agence fournit des fonds destinés à financer la formation de la prochaine génération de scientifiques en biomédecine, des cliniciens et des professionnels spécialisés en santé publique. Ainsi, les bourses des NIH créent des emplois dans les universités, les entreprises de biotechnologie et les industries connexes. Ensemble, ces programmes des NIH favorisent les économies locales et au niveau national.
En 2024, le financement par les NIH a généré une activité économique estimée à 92 milliards de dollars. Chaque tranche de 100 millions de dollars de financement des NIH génère 76 brevets, soit 598 millions de dollars en recherche et développement (R&D), selon les NIH.
Par conséquent, toute réduction du budget de l’agence aura des conséquences profondes et significatives sur les performances nationales en matière de santé et sur l’économie du pays.
Un plafonnement des coûts indirects
Quand les NIH accordent des subventions, celles-ci sont divisées en deux catégories distinctes : d’une part, les subventions visant à régler les coûts directs, c’est-à-dire les dépenses nécessaires à la poursuite des travaux, qui sont fournies aux scientifiques ; et, d’autre part, les coûts indirects. Ces derniers couvrent les dépenses liées à l’entretien des laboratoires, au fonctionnement des services, à la gestion des subventions, au respect de la conformité aux réglementations fédérales, à la sécurité et à d’autres besoins divers. Ces fonds sont versés directement à l’institution.
Les coûts indirects sont négociés entre l’institution et l’agence fédérale et sont exprimés en pourcentage des coûts directs. Étant donné que chaque institution se caractérise par des dépenses opérationnelles qui lui sont propres, les taux de coûts indirects varient de 30 % à 70 %.
La nouvelle politique mise en place par les NIH plafonne les coûts indirects pour toutes les institutions à un taux fixe de 15 %. En 2023, les NIH ont dépensé 35 milliards de dollars pour soutenir la recherche dans diverses institutions, dont 9 milliards ont été utilisés pour couvrir les coûts indirects. Les NIH estiment donc qu’ils pourront économiser 4 milliards de dollars en plafonnant les coûts indirects à 15 %.
Pourquoi les États qui ont voté Trump seront plus touchés
Il existe une importante disparité géographique dans les financements alloués par les NIH, dont la plupart des gens n’ont pas conscience. Vingt-sept États fédéraux reçoivent 94 % des fonds des NIH, alors que les 23 autres n’en reçoivent que 6 %. De plus, le financement provenant des NIH reçu par ces 23 États est resté relativement stable au cours des vingt dernières années.
De nombreuses raisons expliquent pourquoi ces derniers États sont moins compétitifs : un manque de grands centres médicaux, d’hôpitaux et d’universités qui mènent des recherches de manière intensive ; des populations moins nombreuses et plus rurales ; des économies moins robustes ; et un manque d’infrastructures consacrées à des recherches de pointe lié au fait que ces États investissent moins dans la R&D.
C’est la raison pour laquelle, en 1993, le Congrès a autorisé les NIH à lancer un nouveau programme appelé Institutional Development Award (que l’on pourrait traduire par « Prix pour le développement institutionnel », ndlr) ou IDeA (qui signifie « idée » en anglais, ndlr), afin de soutenir les 23 États plus Porto Rico qui ont traditionnellement reçu de faibles niveaux de financement de la part des NIH. Ces États sont communément appelés « États IDeA ». Leurs populations sont principalement des communautés rurales et éloignées des soins médicaux.
Ces subventions, qui représentent moins de 1 % du budget total des NIH, sont censées aider ces États à développer leurs infrastructures de recherche et à devenir plus compétitifs au niveau national.
Les États concernés par le programme IDeA sont les suivants : Alaska, Arkansas, Caroline du Sud, Dakota du Nord, Dakota du Sud, Delaware, Hawaï, Idaho, Kansas, Kentucky, Louisiane, Maine, Mississippi, Montana, Nebraska, Nevada, New Hampshire, Nouveau-Mexique, Oklahoma, Rhode Island, Vermont, Virginie-Occidentale et Wyoming, plus Porto Rico. Tous ces États, à l’exception du Delaware, d’Hawaï, du Maine, du New Hampshire, du Nouveau-Mexique, de Rhode Island et du Vermont, ont majoritairement voté pour Trump lors de l’élection de 2024.
Seize États remportés par Trump (en rouge ci-dessous) seront touchés par les coupes budgétaires dans la recherche médicale
Les coûts indirects financent les technologies de pointe
Non seulement les coûts indirects soutiennent la gestion de subventions spécifiques, mais ils contribuent également à promouvoir les infrastructures de recherche de l’institution.
Les coûts indirects servent à l’achat et à la mise à niveau d’équipements et de technologies voués à la recherche de pointe. Ils aident les établissements à mettre en place des installations informatiques de haute performance qui sont essentielles aux missions de recherche et qui fournissent un accès aux revues et livres des bibliothèques. Ces coûts permettent également de rénover d’anciens laboratoires et de créer de nouvelles installations de pointe, par exemple des installations exemptes de germes dans la recherche sur le microbiome (qui regroupe l’ensemble des microbiotes de l’organisme, ndlr).
Les coûts indirects sont donc indispensables aux États inclus dans le programme IDeA dont les ressources sont limitées, notamment en ce qui concerne le soutien de l’État à la recherche.
Selon le Higher Education Research and Development Survey (Enquête sur la recherche et le développement dans l’enseignement supérieur), en 2023, les États non membres du programme IDeA, comme la Californie qui a investi 548 millions de dollars et l’État de New York plus de 303 millions de dollars dans la recherche et le développement. En revanche, le Kentucky et la Virginie-Occidentale, des États inclus dans le programme IDeA, ont investi respectivement 49 millions et 15 millions de dollars dans la R&D.
Ces données démontrent clairement à quel point il serait difficile pour les États du programme IDeA de faire face aux restrictions budgétaires des NIH et de faire progresser leurs infrastructures de recherche.
De notre point de vue, il est essentiel que tous les États aient accès au financement de la recherche alloué par les NIH pour leur permettre de relever les défis uniques auxquels ils sont confrontés, comme les questions environnementales et les disparités en matière de santé au sein de la population.
Pour exemple, les scientifiques biomédicaux et les cliniciens formés grâce aux subventions du NIH s’attaquent à des problématiques locales comme la pneumoconiose des mineurs du charbon, également appelée maladie du poumon noir, qui survient lors de l’inhalation de poussière de charbon. Il s’agit d’un risque professionnel lié à l’industrie du charbon en Virginie-Occidentale et dans le Kentucky.
De même, à Hawaï, des moustiques peuvent véhiculer le virus de la dengue du fait de son climat tropical. Cette maladie infectieuse peut poser des problèmes sanitaires et économiques spécifiques à cet État, qui ne concernant par les autres États du pays.
La formation de professionnels spécialisés dans la biomédecine et de médecins dans les États du programme IDeA permet également de retenir un personnel spécialisé dans le soin et la santé au sein l’État, afin de relever ces défis locaux et d’éviter l’exode des cerveaux vers d’autres États non membres de l’IDeA.
Les États du programme IDeA dépendent fortement des fonds du NIH pour poursuivre et faire progresser leurs capacités de recherche et pour relever les challenges locaux et généraux qu’ils doivent affronter en matière de santé. Pour ces États, qui rencontrent déjà des difficultés pour bénéficier des fonds des NIH, la réduction des coûts indirects ne ferait qu’exacerber leurs désavantages, ce qui augmenterait ainsi le risque de les voir accumuler du retard en matière de recherche médicale, de soins prodigués aux patients et de croissance économique sur le plan régional.
Prakash Nagarkatti reçoit des financements du NIH.
Mitzi Nagarkatti reçoit des financements du NIH.