C’était le Quartier Latin
L’effervescence artistique et intellectuelle du XIXe siècle a sa géographie : le Quartier Latin, sur la Rive gauche parisienne, et Montmartre, sur les hauteurs de la capitale. Des centaines de clubs animés par des personnalités hautes en couleur ont abrité une vie déjantée difficilement concevable de nos jours. Suivez le guide... L’article C’était le Quartier Latin est apparu en premier sur Causeur.

L’effervescence artistique et intellectuelle du XIXe siècle a sa géographie : le Quartier Latin, sur la Rive gauche parisienne, et Montmartre, sur les hauteurs de la capitale. Des centaines de clubs animés par des personnalités hautes en couleur ont abrité une vie déjantée difficilement concevable de nos jours. Suivez le guide !
Dernier livre paru : Les Enragés de la liberté. Anthologie des pamphlétaires du XVIe au XXe siècles, (préface d’André Bercoff), Max Milo, 2023.
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Les Hydropathes. Dans la déliquescence actuelle, ce nom bizarre, quasi hermétique, est incompréhensible pour le commun des mortels.
Qui étaient-ils ? Le Cornet, membre de la Société Artistique et Littéraire de l’époque décrit une jeunesse composée de « godelureaux, basochiens, carabins, futurs princes de la science et de la République » se croisant dans « un mélange de gravité philosophique, de curiosité scientifique et de fumisterie joyeuse ». Ces jeunes gens, et de moins jeunes, menaient au Quartier Latin une existence intense et ludique. Artistes, peintres, poètes, romanciers, journalistes et étudiants de toutes les facultés (âgés de vingt à trente ans) se retrouvaient pour célébrer les déesses de la pensée. La gravité philosophique inspirée par Taine et Renan, la curiosité scientifique animée par les théories de Darwin et la fumisterie joyeuse fécondée par des humoristes divers, tels Alphonse Allais et Sapeck, Coquelin Cadet, Edmond Haraucourt, le magicien Charles Cros, chez lequel s’accouplaient l’esprit littéraire et l’esprit scientifique (il fut l’inventeur du premier phonographe et un chercheur exceptionnel), mais également Paul Bourget, Raoul Ponchon, André Gill…
Tous se réunissaient le mercredi et le samedi, chaque semaine, puis les réunions devinrent quotidiennes, rassemblant plus de cinq-cents personnes, récitant des poèmes, chantant voluptueusement ou virulemment, déclamant des monologues.
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Mais qu’en est-il de cette appellation curieuse ? On ne la retrouve pas dans le dictionnaire. Quelle en est son étymologie, quelle en est la signification ? Cela veut-il dire : qui souffre de l’eau ou qui se soigne avec l’eau ? N’est-ce pas plutôt : qui n’aime pas boire de l’eau ? Le fondateur du Club des Hydropathes, Émile Goudeau, dont il nous faudra décliner l’histoire, avait un goût prononcé pour les boissons liquoreuses, et lorsqu’il mit en regard ce mot à celui de son nom décomposé, « Goût-d’eau », il ne pût que céder, à nouveau, à la tentation et se soumit à cette identité. Ainsi fut constituée cette société, le 11 novembre 1879, devant soixante-quinze participants qui l’élurent président par acclamation.
Mais avant de plonger dans l’histoire du Club, évoquons-en les épisodes et la mémoire.
« Le Quartier Latin, Pays de l’insouciance gauloise et bivouac d’avant-garde de toutes les idées nouvelles » (Jules Vallès).
Après le prodigieux succès des chansons de Béranger, une profusion de « goguettes » voit le jour et, en 1845, ce sont cinq cents sociétés chantantes qui habitent Paris et sa banlieue et font roucouler ou bramer des chansons libertines, frondeuses et des romances. Eugène Sue et Gérard de Nerval en ont fait la description et Lacenaire s’y promouvait. Celles de la Rive Gauche offrirent à la jeunesse littéraire la liberté de déclamer leurs œuvres en public et de penser et partager celles-ci en toute liberté. Le poète de La Chanson des Gueux, Jean Richepin, les décrivit ainsi : « J’ai précédé au Quartier Latin les groupements naturaliste et symboliste et les Hydropathes. Les Hydropathes dont Émile Goudeau fut l’initiateur, ce grand méconnu auteur de ces Fleurs de Bitume que je tiens pour un chef-d’œuvre. »
Ces cénacles très divers se réunissaient dans des estaminets, la brasserie Sherry Cobber accueillait Richepin, Bourget, Mallarmé, Ponchon, Villiers de l’Isle Adam et même François Coppée. Une autre brasserie de la rue Racine regroupait Rollinat, Charles Frémine, Georges Larsin mais aussi Joseph Gayda, Jean Moréas et Léon Tailhade. Le cénacle Baudelaire tenait ses réunions dans le café Tabourey. Au Voltaire, on retrouvait des membres de l’Institut et de la Sorbonne et le virulent Jules Vallès y siégeait. N’oublions pas le café Mariage, le café Théodore, le Procope, la Vachette avec Paul Valéry, Faguet et l’Abbaye avec Georges Duhamel et Jules Romains.
Léon Daudet, dans ses Trente ans de Paris, en fait une merveilleuse et exhaustive description, évoquant l’atmosphère de l’époque. Ces artistes et hommes de lettres côtoyaient des jeunes gens dans une effervescence particulière.
Mais il nous faut maintenant ressusciter Émile Goudeau qui lors de la disparition du Club des Hydropathes, remplacé par les Hirsutes, devint le pontife du Chat Noir. Ce cercle fondé en 1881 par le peintre Rodolphe Salis donna naissance, boulevard Rochechouart, à Montmartre, à un cabaret qui allait devenir prestigieux et réunir les anciens Hydropathes, Hirsutes et toute la jeunesse qui les escortait. Même Léon Bloy était de la fête.
Goudeau a cristallisé le nomadisme culturel en créant un Olympe de même identité. Né à Périgueux en 1850, fils d’un sculpteur distingué, il est élevé chez les religieux, devient professeur (à 16 ans), déambule de ville en ville et atterrit à Paris en 1869 où il se précipite dans le journalisme et la politique. Après la guerre de 1870, il devient journaliste à Bordeaux avant de revenir à Paris en 1873 pour entrer au ministère des Finances. Mais la vie de bureau lui fait horreur tant elle lui paraît fade. Il démissionne et fréquente épisodiquement, et discrètement, les réunions du Sherry Cobber. « Plein d’illusions et de suffisances, grandiloquent, improvisateur infatigable, il épanouissait aux lampions du boulevard St Michel une redondante verve gasconne. Sa voix éclatante de méridional avait la sonorité d’un violoncelle et, comme il récitait de bonne grâce, l’auditoire n’avait pour lui que sourires et faveurs. Il s’habillait avec un soin trop visible d’accrocher les regards et de fait, dans le milieu étudiant et des bohèmes, il ne passa pas inaperçu », écrit Laurent Tailhade. Il devint dès lors le plus imposant des animateurs de la vie du Quartier Latin et l’un des parangons de la culture mariée à la joie de vivre.
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Comme en témoigne Sarcey, aux Hydropathes et plus tard au Chat Noir, les poètes et les chansonniers clament leurs œuvres devant un imposant public polymorphe, éclectique et à l’esprit ouvert : dans le champ de la poésie, il y a place pour tout le monde et toutes les fantaisies, y compris les débordements et les dévergondages bachiques d’un soir de bal – comme l’a férocement écrit Louis Veuillot.
Ainsi fût donné le signal d’un retour aux lointaines traditions de la docte Montagne, en replaçant le divertissement intellectuel et tapageur en marge des études par une forme plus moderne et jusqu’alors inédite.
Maurice Donnay écrivait à ce sujet : « On constate combien il fût éclectique ce Chat Noir, tour à tour et à la fois blagueur, ironique, tendre, naturaliste, réaliste, idéaliste, lyrique, fumiste, religieux, mystique, chrétien, païen, anarchiste, chauvin, républicain, réactionnaire, tous les genres sauf, à mon sens, le genre ennuyeux. Il n’est pas aisé de définir « l’esprit du Chat Noir ». Il est plus simple de dire ce qu’il ne fût pas : ni prétentieux, ni servile, ni sectaire et c’est bien l’esprit que je souhaite à tous les hommes, à travers la vie et dans toutes les situations. » Une illustration de la Belle Époque en comparaison à notre sinistre époque.
À lire :
Raymond de Casteras, Avant le Chat Noir : les Hydropathes, 1878-1880, Éditions Albert Messein, 1945.
Raymond de Casteras. Avant le Chat noir. Les Hydropathes : 1878-1880. Présentation de Maurice Donnay
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Simon Arbellot, J’ai vu mourir le boulevard, Éditions du Conquistador, 1950.
Maurice Donnay, Autour du Chat Noir, Grasset, 2017.
Roland Dorgelès, Montmartre mon pays, Marcelle Lesage, 1928.
Gérard de Lacaze-Duthiers, C’était en 1900. Souvenirs et impressions (1895-1905), La Ruche Ouvrière, 1957.
C'était en 1900... Souvenirs et impressions (1895-1905). Tome 1 : Les laideurs de la Belle Epoque.
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