Beauté italienne

Dans Vermiglio, Maura Delpero capte avec délicatesse la fin d’un monde rural pris dans les remous de la guerre. Entre solitude des hauteurs, amour clandestin et poids des traditions, elle signe une œuvre sensible et picturale, récompensée à juste titre par le Grand Prix du jury à la Mostra de Venise... L’article Beauté italienne est apparu en premier sur Causeur.

Avr 9, 2025 - 20:39
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Beauté italienne

Dans Vermiglio, Maura Delpero capte avec délicatesse la fin d’un monde rural pris dans les remous de la guerre. Entre solitude des hauteurs, amour clandestin et poids des traditions, elle signe une œuvre sensible et picturale, récompensée à juste titre par le Grand Prix du jury à la Mostra de Venise


Vermiglio ou la Mariée des montagnes de Maura Delpero a reçu le Grand Prix du jury à la Mostra de Venise en 2024, une récompense justement méritée pour ce très beau film.

L’action se déroule au milieu des années quarante, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, au moment de la débâcle italienne et de la proche défaite des nazis. Elle débute à l’hiver 1944, dans les montagnes du Trentin-Haut-Adige, en Italie, dans un petit village isolé, Vermiglio, où la vie suit le rythme des saisons. Un jeune soldat arrive, cherchant refuge. Le jeune homme Pietro et la fille aînée Lucia tombent amoureux, bouleversant à jamais la dynamique familiale de l’instituteur local, Cesare. Le destin bascule…

Beauté des forêts, des sommets enneigés, des prairies en fleurs : loin de la fureur des combats, la quiétude de la communauté est troublée par l’arrivée de deux soldats italiens déserteurs fuyant la déroute. Filmer la nature, les femmes et les hommes, la force et la beauté des traditions chrétiennes, filmer la guerre sans la montrer : c’est la belle réussite de Maura Delpero. Elle signe ici un deuxième long-métrage de fiction, épuré et âpre, tendre et tendu, après le remarquable Maternal sorti en 2019, qui suivait une religieuse arrivant dans un couvent pour jeunes filles en Argentine.

La cinéaste est retournée dans le village du nord-est de l’Italie où a grandi son père, récemment décédé. À travers le cycle complet des quatre saisons, elle montre la vie quotidienne des habitants, fidèles à leurs traditions rurales et chrétiennes.

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Vermiglio déborde de douceur. La beauté irradie chacun de ses plans, filmés comme des tableaux inspirés par les œuvres de Giovanni Segantini et Caspar David Friedrich pour les scènes extérieures, et par la peinture flamande pour les scènes d’intérieur, éclairées à la bougie. Cette lumière intime accentue la profondeur des échanges, notamment entre les nombreuses sœurs très proches du couple. Paysages de haute montagne hivernaux et immaculés, vert printanier des prairies, cimes ensoleillées d’été, roux automnal : tout est magnifié par la mise en scène tranchante et elliptique de Delpero, la lumière douce et les cadres acérés de la photographie de Mikhaïl Kritchman. Les Quatre Saisons de Vivaldi et les Nocturnes de Chopin accompagnent la narration et soulignent le caractère romanesque de cette fiction très documentée.

La mise en scène, mêlant austérité et puissance, permet à la réalisatrice d’instaurer une atmosphère intime et sensorielle dans ce village où la vie des femmes est marquée par la solitude, la rudesse du quotidien, mais aussi la force des traditions. C’est un grand film sur la disparition d’un monde montagnard, un portrait intelligent et touchant de la vie de famille vue à hauteur d’enfant. Il interroge la place sociale et traditionnelle des hommes et des femmes, en particulier celle d’un père instituteur, cultivé et sensible, autoritaire dans son foyer mais profondément attaché à l’éveil de ses élèves à la langue, à la poésie et à la musique. À la fois maître exemplaire et père faillible, il incarne toute l’ambiguïté d’un monde en mutation.

1h59

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