Activité physique et santé : aménager nos espaces de vie pour contrer notre tendance au moindre effort

L’inactivité physique est souvent attribuée à un manque de motivation individuelle. Cette perspective minimise le rôle des lieux de vie où les opportunités de bouger sont trop rares.

Avr 15, 2025 - 11:03
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Activité physique et santé : aménager nos espaces de vie pour contrer notre tendance au moindre effort

Le manque d’activité physique et la sédentarité sont souvent attribués à un manque de motivation individuelle. Réductrice et contre-productive, cette perspective minimise le rôle crucial des lieux de vie, de travail, de loisirs ou encore d’études, où les opportunités de bouger sont trop rares et celles de rester assis trop nombreuses.


Malgré la prise de conscience des bienfaits de l’activité physique pour la santé physique et mentale, les niveaux d’inactivité continuent d’augmenter dans le monde. L’inactivité physique est l’un des principaux problèmes de santé dans le monde. La France n’est pas épargnée.

Lutter contre la « pandémie » d’inactivité physique

En 2022, 31,3 % de la population mondiale était inactive, contre 23,4 % en 2000 et 26,4 % en 2010. Les adolescents sont particulièrement touchés, puisque, à travers le monde, 80 % des 11-17 ans ne pratiquent pas les soixante minutes d’activité modérée à vigoureuse quotidiennes. À l’échelle mondiale, l’inactivité physique serait responsable de 4 à 5 millions de décès chaque année, soit une vie perdue toutes les six à huit secondes.

En France, la situation est similaire. Un rapport de Santé publique France paru en septembre 2024 montre que les niveaux d’activité restent insuffisants, surtout chez les femmes, les enfants, les adolescents et les populations défavorisées. Selon l’Agence de sécurité sanitaire française (Anses), 95 % des adultes sont exposés à un risque pour la santé du fait d’un manque d’activité physique et d’un temps trop long passé assis (ou sédentarité).


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Pour lutter contre cette « pandémie » d’inactivité et atteindre l’objectif de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui vise à réduire l’inactivité de 15 % d’ici 2030, il est essentiel de mieux comprendre l’ensemble des facteurs qui influencent l’activité physique. Parmi eux, le rôle de l’environnement bâti et des facteurs sociaux mérite une attention particulière.

À noter que l’environnement bâti (ou built environment, en anglais) désigne l’ensemble des espaces construits ou modifiés par l’être humain, dans lesquels les gens vivent, travaillent, se déplacent et interagissent. Il comprend notamment les bâtiments (résidentiels, commerciaux, industriels, etc.), les infrastructures de transport (routes, trottoirs, pistes cyclables, transports en commun), ou encore les espaces publics aménagés (places, parcs urbains, installations sportives).

L’environnement bâti et les facteurs sociaux : des éléments déterminants

L’activité physique ne dépend pas uniquement de la motivation individuelle, mais résulte d’un ensemble d’influences, allant des caractéristiques personnelles aux politiques publiques.

Le modèle écologique, inspiré des travaux de Kurt Lewin, soutient que le comportement humain se construit à l’intersection de l’individu et de son environnement. Cette approche rejoint le concept d’« affordance » de Gibson (ou « opportunités d’action ») qui montre comment les propriétés d’un environnement peuvent faciliter ou freiner certaines actions.

Le modèle écologique moderne, souvent associé à Bronfenbrenner, précise cette idée en identifiant cinq niveaux d’influence interconnectés : le niveau intrapersonnel (les facteurs individuels tels que l’âge ou les motivations), le niveau interpersonnel (les relations sociales et le soutien familial), le niveau organisationnel (écoles, clubs sportifs), le niveau communautaire (urbanisme, infrastructures) et le niveau politique (réglementations, investissements publics).

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Tel qu’il a été appliqué à l’activité physique, ce modèle met en évidence le rôle central de l’environnement bâti. Il est désormais soutenu par un ensemble de preuves internationales. Des infrastructures adéquates – telles que les pistes cyclables, les trottoirs, et les espaces verts – favorisent l’activité physique dans divers contextes (mobilité, loisirs, travail/école, domicile).

À l’inverse, l’absence d’équipements appropriés ou un environnement dominé par des infrastructures favorisant la sédentarité limite ces opportunités. Le modèle écologique souligne également les interactions entre les différents niveaux ; par exemple, un cycliste motivé peut être découragé si les pistes cyclables semblent dangereuses, ou une personne désireuse de nager peut renoncer à cette activité si la piscine la plus proche est trop éloignée.

Des disparités au détriment des zones défavorisées et milieux ruraux

Les inégalités sociales exacerbent ces disparités. Les quartiers privilégiés disposent généralement d’infrastructures sportives modernes, accessibles et sécurisées, tandis que les zones défavorisées sont confrontées à de nombreux obstacles : infrastructures vieillissantes, manque d’espaces dédiés et sentiment d’insécurité.

Ces conditions découragent particulièrement les groupes qui se sentent davantage en insécurité, c’est-à-dire les femmes, les enfants et les personnes âgées. Par ailleurs, ces inégalités se manifestent aussi entre les milieux urbains et ruraux. Dans les territoires ruraux, bien que des espaces naturels existent, l’absence d’aménagements spécifiques et les longues distances jusqu’aux infrastructures limitent les opportunités de pratique physique.

Comprendre la tendance naturelle à minimiser l’effort

La théorie de la minimisation de l’effort en activité physique (Tempa) postule que les êtres humains ont une tendance naturelle à éviter les efforts physiques non nécessaires. Ce mécanisme, profondément ancré au niveau biologique, influence la manière dont nous interagissons au sein de nos environnements.

Cette tendance a des racines évolutives : dans un passé lointain où la conservation de l’énergie était cruciale pour la survie, minimiser l’effort permettait d’optimiser les ressources disponibles, améliorant ainsi les chances de survie et de reproduction.


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Cependant, dans nos sociétés modernes où la sédentarité est omniprésente, ce mécanisme de minimisation de l’effort, autrefois avantageux, devient désormais un facteur de risque pour la santé. Nous avons tendance à être attirés par des activités peu exigeantes d’un point de vue énergétique, telles que l’utilisation de moyens de transport motorisés ou de loisirs sédentaires comme regarder la télévision.

L’aménagement de nos espaces de vie et de travail renforce cette tendance. Les technologies facilitent les tâches ménagères, réduisant ainsi les occasions de bouger, tandis que les transports motorisés encouragent l’inactivité, même pour de courtes distances.

Enfin, dans le cadre professionnel et scolaire, des environnements peu modulables, avec des bureaux fixes, ne favorisent pas l’activité physique. Par exemple, en France, selon nos calculs, un élève passerait l’équivalent d’une année entière (nuits incluses), en position assise. Ce constat interpelle. Les opportunités sédentaires sont omniprésentes, et ce legs de l’évolution nous incite à nous y adonner naturellement, ce qui rend le maintien d’une activité physique régulière difficile pour beaucoup.

En d’autres termes, il ne faut pas négliger le rôle crucial des environnements dans l’explication de nos comportements, lesquels ne sont pas uniquement régis par des processus rationnels, mais aussi par des mécanismes plus automatiques ou spontanés.

Dans des domaines autres que l’activité physique, la prolifération des fast-foods ou les crises financières aux États-Unis, par exemple, peuvent expliquer en grande partie, respectivement, l’augmentation des taux d’obésité ou les difficultés d’épargne des ménages, comme le rappelle Loewenstein. De même, il serait réducteur de considérer ces phénomènes uniquement comme des questions de motivation individuelle.

Associer l’activité physique à des expériences agréables et motivantes

Le cadre théorique du moindre effort offre une approche novatrice pour concevoir des interventions de santé publique qui favorisent l’activité physique et réduisent le temps sédentaire, en adoptant une double stratégie : faire de l’activité physique l’option comportementale par défaut et garantir une expérience positive dès sa pratique. En réduisant l’accessibilité des équipements qui impliquent une faible dépense d’énergie, par exemple les escaliers mécaniques, on peut encourager des comportements plus actifs. Toutefois, cette approche seule ne suffit pas à assurer un engagement durable.

Et, par ailleurs, il est essentiel que les environnements restent pleinement adaptés aux personnes à mobilité réduite ou avec d’autres besoins spécifiques. Mais les options qui limitent l’activité physique ne doivent pas être celles qui sont rendues accessibles par défaut.

Il est également capital d’associer l’activité physique à des expériences agréables et motivantes, notamment par l’ajustement de l’intensité de l’effort ou l’intégration de stimuli positifs, tels que la musique et des environnements naturels plaisants, pour augmenter le plaisir perçu et diminuer la sensation d’effort.


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L’efficacité de ces stratégies dépend d’une approche contextuelle et adaptée aux spécificités des différents environnements de vie. De plus, il est indispensable de considérer les inégalités sociospatiales, car l’accès aux infrastructures, ainsi que la motivation des personnes à utiliser ces infrastructures varient selon les conditions de vie. Des interventions ciblées sont nécessaires pour garantir une équitable accessibilité et la promotion d’expériences affectives positives, notamment pour les populations vulnérables.

Repenser l’aménagement des espaces et l’accès aux structures sportives

Il convient de dépasser l’idée selon laquelle l’inactivité physique résulte uniquement d’un manque de motivation individuelle. Repenser l’aménagement des espaces, réguler l’accessibilité aux infrastructures sportives et intégrer l’activité physique dans les politiques publiques constituent des leviers décisifs pour lutter contre l’inactivité physique et la sédentarité.

Ce changement de paradigme, qui intègre notre tendance au moindre effort et le modèle écologique, ouvre la voie à des interventions plus justes et efficaces, notamment auprès des populations les plus vulnérables.The Conversation

Boris Cheval a reçu des financements de la Chaire de recherche Rennes Métropole et des financements européens (Horizon).

Neville Owen a bénéficié des National Health and Medical Research Council of Australia research grants and fellowships.

Silvio Maltagliati ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.